Rachel Getting Married voit Jonathan Demme opérer un réjouissant retour à la fiction. Sous conditions…

Voilà quelques années, maintenant, que Jonathan Demme a délaissé le terrain de la fiction pour ne plus s’intéresser qu’au documentaire – domaine dans lequel il excellait, dès 1984, avec Stop Making Sense, pour ensuite y revenir régulièrement entre deux grosses productions hollywoodiennes façon Silence of the Lambs ou Philadelphia. Si Rachel Getting Married le voit aujourd’hui renouer avec la fiction, nul revirement pour autant, tant le film vibre d’une fibre résolument documentaire… Explications enflammées et circonstanciées du cinéaste, tout à la joie de l’excellent accueil que venait de lui réserver la Mostra de Venise.

Focus: qu’est-ce qui vous a conduit à vous tourner de plus en plus vers le documentaire?

Jonathan Demme: le processus de réalisation de films de fiction était devenu de plus en plus stressant. Tourner un film est une chose, s’occuper de tout ce qui vient ensuite, des rapports avec les distributeurs, etc., en est une autre. Et il se fait tout simplement que je n’en pouvais plus. Je ne voulais plus de ces gros films de fiction: j’en ai eu ma part, et c’est bon. J’étais vraiment fatigué, asséché, et j’ai décidé de prendre du recul. Au bout d’un moment, le virus du cinéma m’a à nouveau démangé, et j’ai appelé Neil Young. Nous avons pu réaliser un film musical ensemble, en dehors de ce système, et j’ai retrouvé le plaisir de faire du cinéma. J’ai donc enchaîné avec un documentaire sur La Nouvelle Orléans, qui est d’ailleurs toujours en cours. Ma vie de cinéaste avait repris, et j’en étais ravi, comme je l’étais d’avoir pris mes distances avec le système et les studios. C’est alors que Sidney Lumet m’a appelé, pour me dire:  » Ma fille a écrit un scénario, c’est vraiment bon, tu devrais le lire.  » Quand je l’ai lu, j’ai dans un premier temps regretté de ne pas l’avoir reçu quelques années plus tôt, quand je faisais encore des fictions. Mais ce script est resté avec moi, et il m’a bientôt semblé tenir là un film que je pourrais tourner dans un esprit indépendant. Mais n’y voyez pas un retour à quoi que ce soit: j’en sors conforté dans le fait de me considérer désormais comme un documentariste.

En quoi le scénario vous a-t-il séduit?

Il m’a vraiment ému, tout en me paraissant très drôle. Il y a moins d’humour dans le film, parce que je pensais devoir m’abandonner à la dimension tragique de cette histoire familiale. J’y ai aussi vu l’opportunité de réaliser le type de film que j’avais envie de faire, ces films Dogma que j’apprécie tout particulièrement. Dancer in the Dark mais aussi After the Wedding, que j’ai d’ailleurs montré aux acteurs et aux techniciens pour qu’ils voient combien cela avait l’air libre.

Tourner selon le Dogme était fondamental à vos yeux?

Sans avoir appliqué à la lettre le v£u de chasteté du Dogme, nous en avons gardé la discipline à l’esprit, Declan Quinn, mon chef-opérateur, et moi. Quand on tourne un documentaire, on fait instinctivement du Dogme – il s’agit, à mes yeux, d’une approche ayant l’air beaucoup plus réelle. Et donc beaucoup plus accessible. Nous avons veillé à ce que le film ressemble à un home-movie, tout en étant le plus beau possible.

Comment avez-vous procédé, concrètement?

Je me suis appliqué à ce que tout ait l’air vrai, sans répétitions, ni plans préconçus. L’idée est de laisser les choses arriver, les inventions collectives se produire, de prendre du recul, de ne pas essayer de contrôler. Nous avions l’équipe pour cela. Et, pour la fête, au lieu d’organiser un casting, nous avons invité des gens: je voulais qu’une véritable communauté se forme devant la caméra.

Dans quelle mesure votre film est-il une métaphore d’une Amérique multiculturelle?

S’il apparaît comme tel, c’est fort bien, mais ce n’était pas mon intention. J’apprécie cette nouvelle Amérique multiculturelle – elle est inévitable, toutes les cultures sont là. Pour espérer la paix, il nous faut un monde où l’on puisse assurer cette combinaison. C’est aussi celle que je recherche dans mon existence: j’évolue dans un milieu multiculturel, dans une banlieue de New York où un rassemblement comme celui que l’on peut voir dans le film n’a rien d’exceptionnel.

Entretien Jean-François Pluijgers

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