A l’affiche de Vantage Point, Forest Whitaker présente un profil de carrrière pour le moins atypique. Rencontre avec un acteur zen…

On ne peut s’empêcher de voir en Forest Whitaker l’incarnation d’un séduisant paradoxe. Campe-t-il un tueur à l’écran, qu’il adop- te la philosophie zen du Ghost Dog, de Jim Jarmusch. A moins que, présence pourtant imposante, il n’ait aussi la légèreté du Burnham de Panic Room, de David Fincher, un autre de ses rôles marquants des dix dernières années. Et s’il restitue magistralement la démence sanguinaire d’Idi Amin Dada dans The Last King of Scotland, de Kevin Macdonald, c’est pour mieux laisser au dictateur ougandais un fond d’humanité. Question d’honnêteté et, subséquemment, d’intensité.

Les plus grands ne s’y sont pas trompés qui, de Scorsese à Eastwood, de Stone à Altman, en passant par Jordan ou Ferrara, ont fait appel à ses services depuis ses débuts sur grand écran, au milieu des années 80. Ce qui ne l’a nullement empêché d’ali- gner également les navets avec un bel aplomb, de Species à Battlefield Earth, quand il ne se donnait pas la peine de les réaliser lui-même, comme Hope Floats, insipide bluette avec Sandra Bullock et Harry Connick Jr. Paradoxal, là encore? Voire. De son propre aveu, Whitaker n’aime rien tant qu’explorer, avec pour résultat un profil de carrière aussi atypique que stimulant. Dernière pièce en date, Vantage Point (Angles d’attaque – voir notre critique en page 31), film d’action de Pete Travis, que l’acteur, tout en rondeur détendue et amène, était venu défendre récemment à Paris.

Dans Vantage Point, Whitaker incarne Howard Lewis, un touriste américain lambda en visite à Salamanque, et témoin d’un attentat visant le président des Etats-Unis. Persuadé d’avoir enregistré le film des faits sur sa caméra, il se trouve propulsé au coeur d’un tourbillon d’événements. « Lewis, c’est un peu vous ou moi, commence-t-il, un type définitivement humain essayant de mener une existence convenable. Je voulais jouer quelqu’un de simple où je ne pouvais m’appuyer que sur moi-même, et non mener des recherches, comme j’avais pu le faire pour Idi Amin. Autant avec un personnage réel, vous avez de l’information à laquelle vous raccrocher, autant ici, je ne savais pas vraiment où j’allais. Ce type de personnage est, en un sens, plus difficile à jouer, parce qu’on n’est jamais sûr de faire du bon boulot… »

LE COTE RASHOMON

De quoi titiller encore la curiosité du comédien, sensible à d’autres aspects d’ Angles d’attaque, son approche formelle audacieuse notamment:  » Si le film n’est rien d’autre qu’un action thriller, j’aimais l’idée de revenir en arrière, et d’explorer la vérité de différents points de vue, ce côté Rashomon. » Un postulat qui plus est appliqué ici de façon jusqu’au-boutiste, l’histoire n’en finissant plus de se répéter pour se réinventer.

 » Et puis, le concept d’interconnexion entre les gens était important à mes yeux. Le film montre que des individus que l’on considérait comme insi- gnifiants, et qui entrent dans le champ de notre vie en sont peut-être les orchestrateurs. Peu importe comment l’on considère ces histoires prises individuellement: elles sont toutes reliées à ce moment particulier, et l’une à l’autre. Et cela rejoint un peu mon rapport à l’univers… »

On touche là à une dimension fondamentale de l’approche d’un acteur qui n’a pas de philosophe que la réputation. L’interroge-t-on par exemple sur sa méthode de travail que Forest Whitaker a tôt fait de parler fluides intérieurs –  » dans la vie, j’ai appris comment accéder à différentes énergies« , explique cet adepte de la méditation.  » J’ai beaucoup évolué depuis Bird , où j’étais allé aussi loin que possible dans une direction. Depuis, j’essaye toujours de me remettre en question. Ghost Dog m’a, par exemple, appris à manifester mes pensées sans rien faire – ce que j’appelle l’énergie intérieure. The Last King of Scotland m’a encore permis d’évoluer: que je sois dans un registre émotionnel ou physique, mon travail a toujours eu ceci de particulier de receler une dimension spirituelle qui en est le liant. Et ce film a, en quelque sorte, constitué l’aboutissement d’une recherche que je menais depuis un bon moment. Dorénavant, je veux jouer d’autres personnages qui aient autant de vérité et puissent résonner avec la même force. »

GOOD VIBRATIONS

Dans le même ordre d’idées, Whitaker parle volontiers « vibrations  » lorsqu’on le questionne sur sa façon d’appréhender un rôle. Celles qui, le cas échéant, lui permettront d’aborder un personnage dont il se sentirait a priori fort éloigné, allusion à l’énigmatique cambrioleur de Panic Room.  » Face à ce type de personnage, je gratte jusqu’à faire jaillir d’eux une étincelle qui les relie à moi; une connexion qui, sans considération pour ce qu’ils sont, me lie à eux. Et partant, permet à d’autres de se sentir liés à eux. Voyez encore Ghost Dog . Il est considéré comme cool, profondément spirituel, alors que cela reste un type qui tue un tas de gens…  »

Séduisante, la méthode n’en est pas pour autant immuable. Ainsi, lorsqu’il évoque la façon dont il aborda Idi Amin Dada:  » C’est l’un des rôles pour lesquels j’ai altéré mes vibrations au point de ne pas du tout m’y voir. Je change. A un moment, j’avais tendance à me dire: ça y est, je sais comment procéder, continuons. Mais après coup, j’ai réalisé que c’était l’occasion de tenter quelque chose de différent. On ne peut pas toujours jouer avec le même type d’énergie. Il est bon, une fois que l’on a compris quelque chose, de remettre son ouvrage sur le métier. »

Conséquent, l’acteur entend, dès lors, poursuivre sur la voie de l’exploration, aidé aussi en cela par l’Oscar que lui a valu sa prestation dans The Last King of Scotland. » J’ai toujours eu accès à des rôles intéressants, mais j’ai plus d’opportunités encore désormais. Et cette notoriété me permet aussi de débloquer des projets. Je pouvais déjà le faire précédemment pour de petits films indépendants, mais cela fonctionne désormais à plus grande échelle. Aller vers une large variété de rôles, c’est aussi continuer à grandir et pouvoir s’immerger au plus profond de soi. »

Cette variété, Forest Whitaker souhaite également l’imprimer à son parcours de réalisateur, en s’engageant désormais vers quelque chose de sensiblement différent des Waiting to Exhale ou Hope Floats qu’il dirigea par le passé. S’inspirerait-il pour autant des metteurs en scène qu’il a cotoyés comme acteur? « C’est plus de l’ordre de l’impression diffuse que de l’étude précise, observe-t-il. Mais quand on travaille avec David Fincher, on ne peut s’empêcher d’être attentif aux prises, parce qu’il n’y en a parfois qu’une sur la journée. On apprécie la précision de Scorsese, la façon dont Eastwood travaille avec son équipe, celle dont Jim Jarmusch envisage une situation sous un angle différent. Ou encore comment Wayne Wang laisse simplement le cadre exister, et les gens y entrer ou en sortir. Ou cette aptitude qu’avait Robert Altman à vous mettre dans une situation réelle et à la capturer. On prend certains éléments plutôt qu’une manière de travailler dans son ensemble. J’ai eu la chance de travailler avec des cinéastes très intéressants. Plus que par le passé, ils devraient m’influencer dans les films que je m’apprête à diriger. » On serait zen à moins…

TEXTE JEAN-FRANçOIS PLUIJGERS

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