FIDÈLE COMPAGNON DE NICK CAVE ET DE PJ, MICK HARVEY SORT UN ALBUM SOLO QUI PARLE DES MORTS ET DE CE QU’ILS NOUS LÈGUENT.

Il a la classe, l’air un peu bordélique (il sort de sa chambre et n’en retrouve déjà plus la clé) et un sourire en coin nettement plus sympa que narquois. Ponctuel, Mick Harvey débarque dans le hall de son hôtel à midi tapant. Elle n’est ni sa femme ni sa s£ur. Et pas non plus sa petite cousine. Le grand Australien est en tournée avec PJ Harvey. Depuis To Bring You My Love (1995), il n’a cessé de bosser avec la fille du Dorset. Que ce soit comme musicien, arrangeur ou coproducteur. Mick Harvey est du genre fidèle. Multi-instrumentiste (guitare, basse, batterie, clavier), il a accompagné Nick Cave, son camarade de lycée, dans quasi toutes ses aventures. The Boys Next Door, The Birthday Party et évidemment les Bad Seeds qu’il s’est décidé à quitter en 2009. Après 4 disques de reprises ponctués d’inédits, le vieux loup de scène sort à 52 ans son projet le plus personnel: Sketches From The Book Of The Dead.

Alors comme ça, votre premier véritable album solo parle des morts…

Des morts et surtout de ce qu’ils nous laissent. Toutes les chansons du disque évoquent ce dont on se souvient des disparus. Ce qu’ils nous transmettent et qui continue de nous accompagner. Je ne perçois pas ce disque comme une catharsis. Il ne dépeint aucunement ce que représentait ma relation avec les défunts mais bien ce qu’on garde avec soi. Ces petits détails qui reviennent sans qu’on les cherche. Il peut s’agir d’une anecdote, de sentiments, de 2 peintures… Que nous lègue-t-on et qui nous accompagne toute notre vie? Je pense que ça en dit long sur nos personnalités. On ne traite pas souvent de ce sujet malgré son universalité.

Comment avez-vous procédé?

Ce fut une expérience assez brutale et intense. Je n’ai pas une âme d’auteur. Je n’avais jusque-là griffonné qu’une poignée de morceaux. J’ai commencé par dresser une liste de gens que j’avais perdus. Puis, j’ai essayé de trouver tous les jours quelqu’un sur lequel je me sentais prêt à écrire en fonction de mon humeur… Un exercice imposé en quelque sorte. Nick et PJ ont tous 2 cette discipline de travail quotidienne.

Pourquoi décide-t-on enfin de se livrer et d’enregistrer ses propres chansons à plus de 50 balais?

Aucun lien avec le fait que je vienne de quitter les Bad Seeds. Il s’agit d’une pure coïncidence. Je n’ai rien prémédité. Un peu comme l’expliquait PJ qui a adopté une nouvelle manière d’écrire, je ne me sentais sans doute pas capable d’accoucher de ces chansons plus tôt dans ma carrière. Quand tu t’embarques dans une aventure, tu veux pouvoir être heureux ou du moins satisfait du résultat. Et ce n’est pas toujours possible.

Ça fait quoi de quitter un groupe après 25 ans?

Ça procure un sentiment étrange mais d’une certaine manière, c’est libérateur. Je suis content de ma décision. La dynamique au sein des Bad Seeds et ce qu’on y attendait de moi avaient beaucoup évolué ces derniers temps. Complications, incompréhensions. J’en étais arrivé à me demander si je devais laisser couler ou saisir cette opportunité pour faire un break. M’offrir un peu de liberté. Parce que les Bad Seeds, c’est plutôt accaparant. Même quand Nick se consacre surtout à Grinderman. Arrêter m’a fait du bien. J’ai gagné du temps, de l’énergie et évacué pas mal de stress… J’aurais peut-être même dû me casser il y a 10 ans. Beaucoup ne l’envisageaient sans doute pas de la sorte mais moi, j’avais l’impression d’appartenir au même groupe depuis 1978 et les débuts des Boys Next Door. Trente piges, ça fait beaucoup…

Votre album solo sonne par moments très Bad Seeds…

Dans les années 80 et 90, je jouais beaucoup d’instruments au sein du groupe. Des mecs comme Johnny Cash, Nina Simone m’ont toujours énormément influencé. Je montre nettement moins mon côté rock, mon amour pour le Velvet… Mais je voulais que la musique se mette au service des textes.

On va continuer à parler de mort. Vous avez consacré 2 albums de reprises à Gainsbourg. Le 2 mars dernier, ça faisait 20 ans qu’il décédait…

Je n’ai rien à voir là-dedans… Je plaide non coupable (rires). Gainsbourg m’a offert l’opportunité d’enregistrer des disques. Je ne savais pas trop par où commencer. Ces projets m’ont mis le pied à l’étrier. Puis c’était aussi l’occasion de rendre son £uvre accessible aux anglophones. Je pense que pas mal d’Anglais et d’Australiens ont approfondi son répertoire à travers mes reprises. Beaucoup se disent fans de Gainsbourg mais ils n’en connaissent que 2 chansons. Je t’aime moi non plus et peut-être Bonnie and Clyde… Or, des années 50 aux années 80, il a touché à tant de styles. Il est un peu comme une pie. Ce qui me permettait d’aborder le travail de différentes manières.

Vous avez aussi repris Out Of Time Man de la Mano Negra. Titre qui a été utilisé dans un épisode de Breaking Bad. Vous êtes fan de la série?

C’était la chanson favorite d’un de mes potes qui d’ailleurs est décédé… Il s’agit d’une grande petite chanson dans un très mauvais anglais. Certains trucs sont presque incompréhensibles. Avec la télé et le cinéma, à moins que tu suspectes que ce soit vraiment une merde, tu tentes le coup. Tu le prends pour ce que c’est. Tu te fais un peu de pognon et éventuellement de la pub. Si tu essaies de tout contrôler, tu deviens dingue. Il y a tellement de sollicitations. Avec les Bad Seeds, ça n’arrête jamais. Enfin, on a quand même fait attention avec Harry Potter. Sur le dernier, ils utilisent O Children. On voulait être sûrs qu’ils n’entreprennent rien de stupide avec notre morceau…

Comment expliquez-vous la longueur de vos collaborations avec PJ et Nick?

Pour moi qui, longtemps, n’écrivais pas de chanson, c’était nécessaire. Sinon je n’aurais enregistré que des musiques de films… Ils sont tous 2 de grandes voix et de grands songwriters. Et puis, je continuais avec Nick parce que je devais jouer des trucs qui fassent mieux sonner ses chansons. Nous nous comprenons. Nous avons des goûts similaires. Nous ne perdions donc pas trop de temps à discuter. Nick lit plus que moi. Surtout ces derniers temps. Mais on aime le même genre d’auteurs: Faulkner, Flannery O’Connor, F. Scott Fitzgerald, Nabokov… Enfin chacun a ses bouquins de Nabokov. Il est obsédé par Lolita. Moi, je relirais plutôt Feu pâle. En musique, je ne suis pas aussi obsédé par Dylan que lui. Mais bon, les Stooges, le Velvet…

Si vous pouviez choisir de rejouer dans son intégralité l’un des albums auxquels vous avez participé, lequel reprendriez-vous?

Ce serait génial de pouvoir rejouer un Birthday Party mais 2 des membres sont morts, ce serait donc compliqué. Avec les Bad Seeds, on en a parlé. Je pense qu’on choisirait Murder Ballads.

L’ultime morceau de votre album est uniquement composé de derniers mots. Quels seraient les vôtres?

Pourquoi maintenant? l

u SKETCHES FROM THE BOOK OF THE DEAD, DISTRIBUÉ PAR PIAS.

ENTRETIEN JULIEN BROQUET

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