ROBIN CAMPILLO SIGNE UN FILM À REBOURS DES CLICHÉS, AU CARREFOUR DE L’INTIME ET DU SUJET DE SOCIÉTÉ, AUTOUR DE LA RELATION S’ÉBAUCHANT ENTRE UN QUINQUA PARISIEN ET UN JEUNE PROSTITUÉ EST-EUROPÉEN.

Collaborateur privilégié de Laurent Cantet (dont il est le monteur depuis Les Sanguinaires, tout en ayant signé les scénarios de plusieurs de ses films à compter de L’Emploi du temps), Robin Campillo s’essayait à la mise en scène en 2004 avec Les Revenants, une oeuvre détonnant quelque peu dans la production hexagonale. Au point, d’ailleurs, que Le Monde put écrire à l’époque: « Voilà un objet rare, un film français fantastique. » Et pour cause, puisqu’il y mettait en scène le retour de morts revenus habiter le quotidien des vivants, sur un ton fort éloigné, cependant, des films de George Romero; un concept prolongé, depuis, par la série éponyme de Fabrice Gobert.

Dix ans plus tard, Campillo s’aventure à nouveau derrière la caméra pour Eastern Boys -un autre objet rare par un réalisateur ne l’étant guère moins, en tout état de cause. « Je veux tourner des films que j’ai vraiment envie de faire jusqu’au bout, sourit-il. Je n’ai pas de plan de carrière qui prévoit d’en réaliser un tous les ans. Je veux réfléchir à ce qu’il est important de montrer aujourd’hui. » En l’occurrence, le film embrasse, parmi d’autres, les questions de l’immigration et des réfugiés, en provenance d’Europe de l’Est pour le coup. Mais s’il s’attèle à un sujet de société, Robin Campillo le fait d’une manière toute personnelle, en explorant la relation qui va s’ébaucher entre Daniel, un quinquagénaire parisien, et Marek, un jeune prostitué aux services duquel il va recourir à la gare du Nord; une relation qui, à peine leur premier rendez-vous fixé, va complètement lui échapper. « Je pense depuis très longtemps à la question du chantage, et à l’idée de la négociation et de la menace. Et je voulais faire un film avec de la musique techno, une sorte d’hommage à la house music. En mélangeant les deux, je me suis approché d’une chose simple et du fait de parler effectivement de la prostitution, des rapports d’argent et des étrangers en situation irrégulière. »

Tension de cinéma

Vaste programme, qui s’ouvre sur une scène, magistrale, embrassant le noeud ferroviaire parisien et les trafics d’ordres divers qui s’y déploient, en un mouvement ample et précis. Le fruit, par ailleurs, d’une patiente recherche documentaire: « Il y a très longtemps que je filme la gare du Nord. Un peu comme Claire Simon (qui y a tourné Gare du Nord, ndlr), je suis allé voir ce qu’il y avait comme possibilités, le côté ruche m’intéressait. Ils ont viré tout le monde, mais il y avait pas mal de prostitution de l’Est, des Moldaves surtout. J’ai ensuite rencontré une sociologue qui avait fait des recherches sur la question. Elle m’a raconté comment ils recouraient souvent à des jeunes qui n’étaient pas de vrais prostitués pour accompagner des hommes leur demandant des prestations sexuelles dans un sex-shop. Jeunes qui, une fois arrivés, déclaraient être mineurs. »

Si Eastern Boys repose sur un chantage voisin, agitant là aussi la menace de l’accusation de pédophilie, c’est pour mieux s’engager pourtant dans une voie inattendue, le piège étant aussi vécu comme une chance par Daniel (auquel Olivier Rabourdin apporte une présence forte et fragile à la fois) –« pour lui, l’envahissement finit par être une promesse », souligne justement Campillo. La relation qui se noue alors est aussi le coeur vibrant du film, manière encore d’amener la dimension sociale à travers l’intime, et d’aborder une réalité complexe à rebours des clichés. « On pense que l’intime est en dehors du politique, mais c’est une erreur à mes yeux. L’intime est travaillé par le politique, tout le temps, sinon on accepterait le viol conjugal, par exemple. Et le collectif est un état, un regard particulier… (…) Le hiatus entre le collectif et l’intime, l’envie d’être ensemble et celle d’être unique, nous traverse tout le temps. Cela crée une tension permanente qui produit une fiction de cinéma très forte. » Paradoxale, la dynamique ainsi créée a aussi le mérite d’exonérer le propos des lourdeurs du film à thèse, tout en défrichant une zone sensible. Ainsi encore lorsque le film investit le no man’s land hôtelier des Portes de Paris où sont placés des étrangers en attente de régularisation, ou pas, dans des conditions terrifiantes. « J’habite à proximité, c’est un endroit très particulier. Pour moi, on est proche des Revenants, de gens avec un non- statut social -c’est déjà énorme, en Europe, et je pense que cette histoire va devenir accablante, au bout d’un moment. » Celle de Eastern Boys, pour sa part, a valeur largement métaphorique, qui lui a, entre autres, valu le prix Horizons à la dernière Mostra de Venise.

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Venise

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