La quatrième fois aura donc été la bonne pour Jacques Audiard, Palme d’Or pour Dheepan, après avoir eu les honneurs de la compétition cannoise avec Un héros très discret (Prix du scénario en 1996), Un prophète (Grand Prix en 2009) et De rouille et d’os (2012). Une reconnaissance suprême venant à un moment où on ne l’attendait à vrai dire pas, Dheepan ayant suscité une certaine perplexité parmi les festivaliers; en cause, un final outré, conviant le fantôme de Charles Bronson sur la Croisette. De quoi, incidemment, faire retomber quelque peu la pression: c’est un réalisateur particulièrement détendu que l’on retrouvait quelques heures avant le verdict dans un appartement dominant la Croisette, son galurin à portée de main, et le scénariste Noé Debré à ses côtés.

« Le film résulte de la rencontre entre une envie formelle et un sujet, commence ce dernier. Il y avait le désir de faire un film de genre, et nos premières conversations ont tourné autour des Chiens de paille de Peckinpah. A quoi s’est greffé le sujet des Tamouls, et de l’immigration. Ces deux pôles nous semblaient se rencontrer, même si le projet a évolué en cours d’écriture. » De fait, retraçant le destin de Dheepan, combattant ayant fui la guerre au Sri Lanka pour en trouver une autre dans la cité française où il échoue, le récit gravite aussi autour d’une hypothétique (re)construction familiale: « L’apparition de la fausse famille a beaucoup réorienté l’écriture et le tournage, et nous a fait reconsidérer toute la violence dans le film », complète le réalisateur. C’est là, d’ailleurs, ce qui fait pour bonne part le prix de Dheepan, l’histoire d’un homme faisant, en quelque sorte, le désapprentissage de la violence -soit l’inverse du personnage qu’incarnait Tahar Rahim dans Un prophète. « C’est tout à fait vrai. Dheepan a d’ailleurs longtemps porté un autre titre: L’Homme qui n’aimait plus la guerre. Il y a vraiment un rapport étroit entre Un prophète et ce film-ci, à tel point que j’ai pensé à un moment ne pas le faire. L’arrivée de l’histoire d’amour, de la fausse famille qui en devient une vraie, et du conflit qui se mue en amour, a recentré les choses et a rendu le film possible. »

La scène d’action d’un homme lent

Pour autant, Dheepan reste du pur Audiard, inscrit dans quelque espace de non-droit, sans que le cinéaste veuille y voir une dimension sociale –« Je ne refuse pas les socles sur lesquels j’appuie le film, mais je ne leur donne pas plus d’importance que ça; ce qui m’importe, c’est le point de vue. » Ou la France envisagée par un regard extérieur, avec le potentiel que recèle une telle proposition. Et un cap que maintient le réalisateur avant de basculer dans le film d’action, en une concession au cinéma de genre discutable pour le coup, encore qu’il la revendique: « C’est une mémoire du film préhistorique et du scénario qui était vraiment une histoire de « vigilantes ». Après, c’est la scène d’action d’un homme lent, Dheepan va à vitesse constante, et cela m’a intéressé. Il n’y a pas de rupture de style à mes yeux, dans la mesure où le film l’appelle, et qu’on sent depuis longtemps qu’il va se produire quelque chose. » En quoi le jury lui aura donné raison…

JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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