Après Panama et l’Italie, la production du prochain James Bond, Quantum of Solace, s’est arrêtée en Autriche, à Bregenz, sur les bords du lac de Constance. Visite.

La scène de l’opéra s’avance, imposante, sur les flots. Elle figure un atelier de peintre, avec en son centre, un £il, immense. Amovible, l’iris se détache pour découvrir, installés en rangs serrés, des dignitaires religieux. A leurs pieds sur le plateau, un ch£ur ecclésiastique s’apprête à donner de la voix. La musique s’élève dans les airs -moment que choisit une colonne pénitentiaire pour émerger, sous bonne garde, d’un côté de la scène avant d’être guidée vers son centre -, le mouvement dure quelques poignées de secondes avant de se figer. Nous sommes à Bregenz, en Autriche, sur les bords du lac de Constance. Emprunté à Tosca de Puccini – qui sera monté cet été sous la direction artistique de David Pountney -, le décor accueille pour une quinzaine de jours la production de Quantum of Solace, nouvel épisode des aventures de James Bond, le 22e depuis Dr. No, en 1962. Sorti il y a deux ans, Casino Royale a donné un sérieux coup de jeune à la franchise, 007 trouvant en Daniel Craig ( lire également notre interview en pages suivantes) un interprète à la hauteur de sa légende, tandis que le réalisateur Martin Campbell musclait quelque peu le propos, non sans rendre à la série une intensité que le temps avait fâcheusement diluée. Autant dire qu’annoncée le 5 novembre prochain, la sortie de Quantum of Solace est fiévreusement attendue.

AU COEUR DU MYTHE

Pour l’heure, la production se déploie donc à l’opéra en plein air de Bregenz, après des arrêts à Panama, au Chili, en Angleterre et en Italie. Le choix de ce cadre – rien moins que somptueux, avec les Alpes se découpant sur l’horizon du lac – et du décor de Tosca ne doit évidemment rien au hasard: symbole de l’observation et de la surveillance à la scène, une métaphore également pertinente dans l’univers de l’agent secret, la figure de l’£il renvoie par ailleurs à la mythologie même de Bond, motif décliné au c£ur des génériques des films comme dans les titres de certains d’entre eux, de For Your Eyes Only à Golden Eye.

Sur les gradins, quelque 1 300 figurants, tous vêtus de smoking ou de robes de soirée, s’animent. Il est 21 h 30, et une brise légère rafraîchit la nuit autrichienne, tandis que l’équipe technique s’emploie aux ultimes préparatifs. Avec un crucifix géant à l’avant-plan et les mitres des dignitaires se découpant au creux de l’£il, la scène baigne dans une atmosphère de fantastique ecclésiastique – on songe fugacement au défilé du Roma de Fellini. Les prises s’enchaînent bientôt, sans précipitation mais avec méthode. Tout au plus si chaque apparition de Daniel Craig, dévalant encore et encore un escalier sur le côté de la scène, avec l’opéra et ses ch£urs pour toile de fond, est ponctuée des bravos de la foule des extras –  » Ils sont épatants, confiera l’acteur le lendemain. Leur enthousiasme semble ne jamais se tempérer, alors qu’ils passent des nuits entières dehors. » Une peccadille, sans doute, au regard du froid hivernal des auditions de janvier…

FORSTER, LA SURPRISE DU CHEF

Motivé, on le serait à moins. Si la nuit n’est pas aux scènes d’action, la mise en place ne laisse pas d’impressionner, à la fois par son gigantisme – avec ses 50 mètres de côté et 25 de haut, le décor de scène est proprement phénoménal -, par le déploiement de moyens humains et par le professionnalisme à l’£uvre. Compte tenu de la débauche de moyens, on est d’ailleurs surpris par le calme se dégageant du plateau, où tout semble sous contrôle, ni plus ni moins. Entre deux prises, Daniel Craig, le tuxedo recouvert d’une doudoune, discute avec l’équipe quand il ne fait pas les cent pas. Bonnet vissé sur le crâne, le metteur en scène Marc Forster s’assure pour sa part, par moniteur interposé, du bon déroulement des opérations.

Forster, c’est un peu la surprise du chef, le réalisateur de Monster’s Ball et autre The Kite Runner n’ayant guère d’expérience dans ce type de production. Il ne cache d’ailleurs pas son étonnement lorsqu’il fut contacté par Barbara Broccoli et Michael Wilson, les producteurs de Bond.  » Je n’ai pas compris pourquoi ils pensaient à moi. Mais mon intérêt s’est éveillé quand ils m’ont assuré que je bénéficierais d’une entière liberté artistique. Je m’interrogeais néanmoins sur l’opportunité de tourner un film commercial nécessitant un certain cadre: les Bond Girls, les méchants… Et puis, j’ai lu cette phrase d’Orson Welles où il confessait que son plus grand regret était de n’avoir jamais tourné un film commercial. C’est là que je me suis dit que l’expérience pourrait être intéressante. Et quitte à faire un film commercial, Bond s’imposait. D’autant plus qu’en revoyant les premiers films, ceux tournés par Terence Young, avec le design de Ken Adam, le potentiel visuel de la série m’a sauté aux yeux.  »

Un choix audacieux? On serait plutôt tenté d’y voir le flair des producteurs: s’agissant d’encore un peu reprofiler Bond, Forster pourrait fort bien être l’homme de la situation, avec une direction plus centrée sur les personnages – qualité unanimement louée par les comédiens, de Jesper Christensen à Mathieu Amalric, en passant par Daniel Craig, bien sûr. Entouré de ses collaborateurs habituels, Forster respire la sérénité, alors qu’il aborde une nouvelle scène. Quelques rapides répétitions et tout s’emboîte impeccablement:  » J’ai mon équipe, tout est planifié. Quand j’arrive sur le plateau le soir, chacun sait ce qu’il a à faire. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de crier pour faire un bon film« , expliquera-t-il ensuite.

QUANTUM OF SALACE?

Loin donc de toute vaine agitation, c’est tout au plus si le cinéaste suisse confesse une certaine nervosité, eu égard aux quelque 200 millions de dollars de budget.  » C’est un montant cinq fois supérieur au plus gros budget que j’aie jamais eu… Dans cette gamme de budget, le succès commercial est une obligation, et c’est un type de pression que je n’ai jamais connu. L’autre aspect qui me rend un peu nerveux, c’est que je n’aurai que quatre semaines pour monter le film, alors que j’aime disposer de six mois…  » Six mois, c’est à peu de choses près le laps de temps qui nous sépare de la sortie de Quantum of Solace. Inutile, à ce stade, de chercher à connaître le sens du titre. C’est à peine si Marc Forster avance, avec un sourire entendu:  » Peut-être que dans certains pays francophones, on l’appellera tout simplement Quantum , afin d’éviter les jeux de mots du genre Quantum of Salace . » Voire…

tEXTE JEAN-FRANCOIS PLUIJGERS, ENVOYé SPéCIAL A BREGENZ

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