Mike Skinner sort son quatrième album, Everything is borrowed, et évoque la fin toute proche de The Streets.

Londres. Début septembre. On est dans son « jardin » (ça fait déjà un bail qu’il a déserté Birmingham), mais Mike Skinner rencontre les journalistes affalé sur le sofa d’une impersonnelle chambre d’hôtel. On croit reconnaître à côté de lui, dans un sac en plastique transparent, le sosie du t-shirt à longues manches fuchsia qu’il a sur le dos.  » Vous avez fait du shopping ce matin? »  » Quelqu’un s’en est chargé pour moi« , rétorque celui que la presse a surnommé le Shakespeare des clubbers.

Skinner adore le rose. Peut-être parce que sa vie ne l’a pas toujours été. Quand il sort son premier album Original Pirate Material en 2002, le défricheur du hip-hop anglais remercie tous ceux qui l’ont tabassé et taxé. Toutes celles qui l’ont largué. Aujourd’hui, alors que le lascar a fixé la fin de The Streets à l’an prochain, il sort Everything is borrowed, son disque le plus enjoué.  » Une certaine incompréhension a entouré le précédent, déplore-t-il . Beaucoup de gens ont pris mon ironie pour du pessimisme. Je ne suis pas plus joyeux qu’il y a deux ans. Je suis surtout content actuellement que l’album soit fini. Je suppose qu’on peut l’envisager comme une réaction, une réponse à la détresse ambiante. Mais il ne s’agit pas d’un disque politique. L’explication est plus personnelle. Je me suis fixé pour règle de ne pas faire référence à la vie moderne. Il me semble plus philosophique. »

Mike Skinner s’interrompt. Comme désintéressé. Obnubilé par son GSM.  » J’envoie un SMS. Quelques consignes à mon ingénieur du son. On travaille déjà sur de nouvelles chansons. » L’homme pourrait sembler grossier. Il n’en est rien.  » Donner des interviews me fait du bien. Cela me rend fier de ce que j’ai réalisé ces deux dernières années et j’oublie, ou presque, de stresser sur les chansons que je terminerai demain. » Les dernières de The Streets. Skinner ayant d’ores et déjà annoncé que son prochain album marquerait la fin de l’aventure.  » Je ne pense pas que le disque soit encore un format très pertinent. Je vais changer de nom. J’aurai en tout sorti cinq plaques sous l’étiquette The Streets. Je me suis enfermé dans une formule. Je ne parle pas d’attente. De l’extérieur. Je parle de moi. De champ des possibles. »

L’oraison funèbre, il l’a déjà en partie dévoilée. Elle sera profondément inspirée par Berlin.  » La ville. Pas l’album de Lou Reed. J’ai le sentiment que tout le monde à Berlin possède un synthé analogique à la maison. Je pense à Kraftwerk. Du moins à l’idée que j’en ai. Car je n’ai jamais vraiment écouté sa musique. »

Ce disque qu’il annonce moderne, parlant même de science-fiction, libérera Skinner de ses obligations contractuelles.  » Après, je me servirai d’Internet. Rien que d’Internet. Fini le support physique. Je ne suis pas attaché à l’objet. Je suis le plus grand amoureux de musique qui soit mais je n’aime pas le CD. Il prend trop de place. Si je m’attarde autant sur l’aspect visuel de mes albums, c’est parce que je pense le devoir à ceux qui vont payer pour les acheter. »

Quand on lui reproche tous ses invités, tous ces types qui viennent ramollir ses disques, ces timbres mielleux qui affadissent ses chansons, Skinner semble étonné.  » Tout est relatif. Je n’ai pas de voix. Je ne sais pas chanter. D’autres estiment qu’il n’y en a pas encore assez. » Mike n’est guère du genre à rouler des mécaniques.  » Le rap américain est très fort pour se vendre. Pour devenir populaire. Le hip-hop anglais a plus de mal. Le grime pour moi arrive au sommet de sa popularité. Pour la simple et bonne raison qu’il veut rester authentique. Je n’aime pas les rappeurs US mais je suis épaté par la production de mecs comme 50 Cent. A la fois futuriste et commerciale. »

Mr Hip-Hop et Dr House

L’importance de Skinner sur la musique anglaise dépasse les frontières étroites du hip-hop. Les Arctic Monkeys et Kate Nash, entre autres, se réclament du rappeur.  » J’ai influencé des gens, oui. Parce que je suis arrivé au bon endroit au bon moment avec des trucs que les jeunes voulaient entendre, relativise-t-il.

Quand on lui demande quels sont les écrivains qu’il admire, il se met à parler de séries télé.  » De manière générale, je suis inspiré par les dialogues. J’aime beaucoup Dr House et The Wire. Je suis aussi un grand fan des films de Wes Anderson comme La Vie aquatique. Le refrain de la chanson que j’ai enregistrée avec Muse (Ndlr: elle ne figure pas sur l’album) m’est venu de Gossip Girl. Un feuilleton trash et merdique américain. Je lis beaucoup mais peu de fictions. Cela me prend des semaines, même des mois, pour terminer un roman. »

En attendant, même s’il avait l’air remonté et éméché aux Ardentes, même si son MySpace est affublé d’un « L’alcool est la réponse. Quelle était la question? », Skinner semble avoir vaincu ses démons.  » Beaucoup de mes dépendances vont et viennent. Mais je n’en ai plus qu’une seule et sérieuse: la musique. Ma consommation d’alcool est ce que je dois le plus surveiller. Heureusement, je suis obsédé par ce que je fais. Quand je bosse sur un disque, j’arrive à passer des jours et des jours sans même que l’idée de boire un verre m’effleure l’esprit. La picole, ça vient de mes origines anglaises. Comme les pubs ferment tôt, on boit beaucoup, vite et on commence tout de suite après le boulot. Les gens sont fiers de ça. De cette partie de leur vie. Je ne suis pas sûr qu’il s’agisse d’une bonne chose. Si t’arrives à te tenir à l’écart de la castagne, l’alcool est plutôt drôle et divertissant mais il peut te mener au trou. »

www.the-streets.co.uk

Aux Halles de Schaerbeek le 20/11.

Entretien Julien Broquet, à Londres

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content