FESTIVAL ÉLECTRONIQUE EXEMPLAIRE, LES 10 DAYS OFF DÉBOULENT EN TOUTE GRANDE FORME, DU 15 AU 25 JUILLET, À GAND. AU SOMMET D’UNE AFFICHE 4 ÉTOILES, LE BUZZ NICOLAS JAAR, CHILIEN BASÉ À NEW YORK, QUI RÊVE UNE MUSIQUE AU RALENTI.

Ce n’est plus une tendance, c’est carrément une lame de fond: en 2011, le silence est d’or. Place aux grands vides, aux breaks abyssaux. D’un groupe comme The xx à James Blake, c’est comme si un mouvement invisible s’était mis en tête de contrebalancer les excès de la pop actuelle. Sorti en début d’année, Space Is Only Noise est déjà un des disques phares de 2011. Il avance au ralenti (jamais plus de 100 BPM) et laisse de larges espaces inoccupés dans chaque morceau. Le geste est impressionnant, assez radical. Il est l’£uvre de Nicolas Jaar, Chilien basé à New York, âgé d’à peine 21 ans. De son premier album, on peut déduire une attirance pour la techno minimale comme pour Erik Satie. Enigmatique comme un film de Lynch, il peut aussi sampler la voix de Ray Charles ( I Got A Woman). « J’adore la soul, la Motown, James Brown,… Al Green est une grande influence. Simply Beautiful est ma chanson préférée de tous les temps…. J’aime aussi le fado, la musique africaine… des gens comme Fela, Cesaria Evora, les Ethiopiens Mahmoud Ahmed et Mulatu Astatke, le groupe Tinariwen… Si c’est triste et africain, j’aime! » (rires).

On rencontre le jeune homme, attablé au restaurant d’un hôtel cool de la porte de Bagnolet. Il insiste pour faire l’interview en français: « Je viens d’arriver, il faut que je me replonge dedans. » Le résultat d’un parcours scolaire passé au lycée et d’une mère à moitié française. Elle est designer industrielle; son père, Alfredo Jaar, est un artiste visuel reconnu. C’est lui qui ramena un jour à la maison un disque de Ricardo Villalobos. « Je devais avoir 14 ans. Je commençais un peu à écouter de la musique électronique. C’était vers 2004, 2005, tout sonnait très « drogué », très minimal. J’aimais la texture sonore. Mon père est donc rentré chez un disquaire et a demandé au mec de lui conseiller un bon artiste chilien de musique électronique. Il est revenu avec le Thé au harem d’Archimède de Villalobos.  »

C’est à ce moment-là que la musique électronique est devenue importante pour lui? « Non, elle n’a jamais été importante. C’est la musique tout court qui l’est.  » On note. Mais pourquoi alors s’être braqué sur ce créneau-là? Parce qu’il permettait d’avancer seul? « Exactement. Avec des logiciels comme Ableton, Logic,… Je peux faire ce que je veux, tout seul devant mon ordinateur. Je pense que ma génération est la première à avoir ça, n’est-ce pas? »

Hormis 2, 3 leçons de piano, Jaar n’a donc jamais appris à jouer d’instruments. Aujourd’hui, il prend seulement quelques cours de chant, en parallèle à ses études à la Brown University. Il y est inscrit en littérature comparée. « C’est plutôt de la philo en fait. Comment et pourquoi évoluent les idées. Pourquoi Warhol vient après Duchamp? Quels sont les liens?… J’aime bien me poser ce genre de questions. Ça m’aide à créer. »

L’effet pourrait être inverse. Comment sortir quelque chose de neuf quand tout a été fait? Là aussi, Jaar correspond bien à sa génération. A la fois surinformée et décomplexée. « Quand John Cage compose 4’33 » de silence, on arrive en effet au bout de quelque chose. Après lui, c’est foutu, pour nous tous. Mais ce n’est pas grave. C’est ça, la musique. Aujourd’hui, pour en faire, il faut s’en foutre. Ce qui est important, par contre, c’est de fournir quelque chose d’honnête. C’est devenu essentiel. Même si cela revient à se battre contre la machine, celle du business musical. «  Il s’emballe: « Personnellement, j’ai de plus en plus ce problème. Etre honnête avec la musique devient plus difficile pour moi. J’ai par exemple donné des remix sur le Web qui ne correspondent pas vraiment à ce que je suis, à ce que je ressens. Je les écoute et je vois les ficelles, les astuces… C’est facile. Je ne veux pas utiliser ce mot, mais je vais quand même le dire, ce sont des morceaux où il y a plus d‘idéologie. Mais tu ne peux pas écrire que j’ai dit ce mot! (rires) « 

Points de suspension

Reste la question du silence. Dans Space Is Only Noise, il n’y en a en fait pas tant que ça. Jaar découpe plutôt des creux, des béances à chacune desquelles il donne une couleur particulière. « Le silence ne me touche pas. Non seulement ça n’existe pas, mais je ne vois pas l’intérêt d’en donner à quelqu’un. C’est devenu trop facile. C’est un truc british, qui est cool. J’aime beaucoup The xx ou James Blake, mais c’est devenu une formule. C’est plus amusant de donner un moment, quelque chose qui pourrait arriver, ou ne pas arriver. Une potentialité, en quelque sorte. Je laisse des points de suspension que chacun peut remplir ou pas. »

Aujourd’hui, la donne a changé pour Jaar. Tout s’est un peu accéléré. L’accueil critique dithyrambique reçu par Space Is Only Noise l’a amené à multiplier les sets DJ et même à monter un live avec un vrai groupe (la formule présentée aux 10 Days Off). « Dans la musique que je peux faire maintenant, je remplis désormais l’espace avec du chaos, de la confusion. Parce que ma vie est devenue comme ça, j’imagine. Encore une fois, c’est crucial de dire où l’on est, pouvoir sortir ce qu’on a en soi d’authentique. A partir de là, même si vous faites du surf rock, vous amènerez forcément quelque chose de différent. Puisqu’on l’est tous! »

NICOLAS JAAR, Space Is Only Noise, CIRCUS COMPANY/NEWS EN CONCERT, LE 18/07, AUX 10 DAYS OFF.

RENCONTRE LAURENT HOEBRECHTS, À PARIS

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