Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

QUATRIÈME (ET ULTIME?) ALBUM POUR ACTRESS. ENTRE SAILLIES EXPÉRIMENTALES ET GROOVES DÉVIANTS, L’ANGLAIS TRITURE LES MACHINES POUR LE MEILLEUR ET POUR LE PIRE.

Actress

« Ghettoville »

DISTRIBUÉ PAR NINJA TUNE.

7

Paysage blême, brume poisseuse en triple épaisseur, décor de fin du monde. Il n’y a pas à dire, Actress sait recevoir… Pour accueillir l’auditeur, Darren Cunningham de son vrai nom balance Forgiven, sept minutes de nappe sonore cafardeuse et monotone. Une longue marche funèbre avançant au ralenti, à peine griffée de claviers menaçants. Ambiance… Le geste semble quasi tenir du manifeste. A moins que ce ne soit une tactique en soi: après une telle épreuve, l’oreille fouineuse ne pourra qu’être réconfortée par les morceaux suivants.

Le parcours d’Actress n’a de toutes façons jamais été marqué par la facilité et l’évidence. Sur ses trois albums précédents, l’Anglais a passé son temps à déconstruire la chose électronique, disséquant les plans techno, déstructurant la bass music. Ghettoville pousse cependant encore un peu plus loin vers l’abstraction.

Baroud d’honneur

Voilà pour la mise en garde. Cela étant dit, si Ghettoville est bien un album rugueux (l’atmosphère oppressante de Contagious), il se révèle aussi bizarrement fascinant, se décantant, voire se dégelant, au fil des morceaux. Il ne faudrait en effet pas se contenter de voir dans Ghettoville l’essai snob et autiste d’un artiste un poil prétentieux. Pour peu qu’on s’y penche d’un peu plus près, et qu’on observe le tableau dans le détail, le disque intrigue et attire. Il demandera donc du temps, et plus encore de l’attention: essayez de le faire tourner en musique de fond et Ghettoville passera (au mieux) inaperçu. Plongez par contre plus attentivement dans Our, virée nocturne en apesanteur, ou Time, son pendant plus « jazzy », et votre curiosité sera récompensée. Sens du détail et de l’exécution: Cunningham épate dans la manière dont il produit ses morceaux, bidouillant les breaks, triturant la matière sonore pour mieux se l’approprier. Remis à l’endroit, Birdcage pourrait par exemple passer pour un morceau techno-house à peine déviant. Même principe avec Image (sa boîte à rythmes eighties, son allégeance à Prince), ou Rule, étouffé, et comme plongé dans un baril rempli d’un liquide poisseux. De son côté, Skyline marche tout droit, suivant un beat imperturbable, sur lequel viennent se greffer les petites excentricités du maître de maison. Mieux: Rap pourrait presque s’apparenter à un morceau soul, tentative r’n’b qui tranche avec la manière dont Cunningham a entamé son disque.

Pour accompagner la sortie, le bonhomme balançait un message crypté dont il a le secret –« the machines have turned to stone, data reads like an obituary to its user »-, qui pourrait laisser penser que les expérimentations d’Actress s’arrêteront là. Un dernier pavé dans la mare, et puis basta. On peut douter de la crédibilité d’une telle annonce. Mais si Ghettoville tenait en effet du baroud d’honneur, son jusqu’au-boutisme ne manquerait pas d’allure.

LAURENT HOEBRECHTS

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content