La crise s’installe, l’inquiétude monte, monte, monte… Il est l’heure de se rappeler que 7e art et parano ont souvent fait bon ménage. D’Alfred Hitchcock à David Lynch en passant par Roman Polanski, certains réalisateurs en ont même fait leur miel…

Vous ne vous êtes sans doute pas précipité voir Saw 5, film parano par excellence, et sadique en prime! Mais en ces heures de grande peur économique et sociale, nul doute que d’autres titres feront bientôt plonger votre regard vers cette paranoïa que le Petit Robert définit comme un  » délire d’interprétation« , des  » troubles caractériels(orgueil démesuré, méfiance, susceptibilité excessive, fausseté du jugement avec tendance aux interprétations) engendrant un délire et des réactions d’agressivité.  » Une pathologie, une maladie mentale, de l’ordre de la psychose. Dans le langage courant, le mot a pris un sens dérivé, qualifiant volontiers des états de méfiance ou de suspicion exacerbées n’ayant pas forcément quoi que ce soit de pathologique.

Logiquement attentif aux expressions les plus spectaculaires de la psychologie humaine, le cinéma ne pouvait que s’intéresser au phénomène. A travers quelques films directement consacrés à l’étude de personnalités paranoïaques, mais surtout dans des £uvres intégrant la paranoïa dans leur récit (chez Hitchcock par exemple), voire dans leur texture même comme chez Roman Polanski ou David Lynch, cinéastes en prise directe et troublante sur les ressorts de cette affection mentale. Nous verrons aussi que des genres comme le fantastique, la science-fiction et le film « noir » furent régulièrement hantés par la parano. Et que tout le genre du film de complot, très présent par exemple dans le cinéma politique américain, baigne dans une atmosphère paranoïaque évidente.

De l’expressionnisme allemand à Hitchcock

L’écran se teinte de paranoïa dès les années 20, avec l’émergence de l’expressionisme en Alllemagne. Ce mouvement artistique éminemment subjectif engendre des films fascinants et morbides, où notre perception de la réalité se voit remettre constamment en doute, sous l’effet d’une inquiétude profonde et propice à certains délires d’ordre paranoïaque. Ainsi du très fameux Cabinet du Docteur Caligari de Robert Wiene, où les angles des maisons ne sont jamais droits et où des lignes de perspective incertaines viennent installer un sentiment d’oppression proprement cauchemardesque. D’autres grands films de l’époque, comme La Maison sans porte (quel titre inquiétant, déjà!), Le Cabinet des figures de cire, et le génial Nosferatu de Murnau avec son vampire étendant sa menace au paysage entier, respirent la parano tout en imposant une esthétique qui aura, plus tard et outre-Atlantique, une grande influence sur celle du film « noir » américain ( voir notre encadré).

Fritz Lang toucha quelque peu à l’expressionnisme, avec Les Trois lumières, notamment, avant de s’imposer comme l’un des meilleurs cinéastes mondiaux, en Allemagne d’abord puis aux Etats-Unis où il allait fuir le pouvoir nazi. Ses films mettant en scène le sinistre et omnipotent Docteur Mabuse font trembler une société entière sous la menace d’un génie du mal qui observe tout (un des films de la série s’intitulera Les 1 000 yeux du Docteur Mabuse). Le tout dans une ambiance paranoïaque à l’origine de laquelle certains historiens du cinéma voient la crise morale et sociale menant à l’avènement d’Adolf Hitler.

Exilé aux Etats-Unis, Fritz Lang y tournera d’autres films paranos, dont le passionnant Fury où un homme accusé à tort et ayant échappé de justesse au lynchage entreprend de se venger de la foule qui voulut le tuer. Alfred Hitchcock prendra sa succession comme maître de la paranoïa cinématographique. Celui dont les films à suspense captivent génération après génération est à l’origine d’au moins deux £uvres majeures: le très fin et subtilement pervers Suspicion et ce chef-d’£uvre de terreur irrépressible qu’est Psycho. Avec son noir et blanc clinique, le film de 1960 possède encore aujourd’hui, même après plusieurs visions, un impact extraordinaire.

Bien sûr, des films ont été directement consacrés à un personnage souffrant de délire paranoïaque. C’est le cas notamment d’ A Beautiful Mind de Ron Howard avec Russell Crowe, ou du très récent Paranoïak de D.J. Caruso, où un adolescent joué par Shia LaBoeuf soupçonne un voisin d’activités criminelles et revit en « réel » le scénario de cet autre sommet qu’est Rear Window de… Hitchcock. Mais c’est à quelques cinéastes majeurs qu’on doit les plus fortes incarnations du thème paranoïaque. Orson Welles, évidemment, avec son adaptation du Procès de Kafka. Stanley Kubrick, aussi, dont le Shining transposé de Stephen King met à rude épreuve l’écrivain parano joué par Jack Nicholson et les siens. Terry Gilliam, bien sûr, dont le génialement délirant Fear And Loathing In Las Vegas ( Las Vegas Parano en v.f.) plonge Johnny Depp dans un abîme paranoïaque sans fond. Martin Scorsese et son hallucinant Taxi Driver aussi. Sans oublier, plus récemment, le kabbalistique Pi de Darren Aronofsky.

Mais il faut rendre ce qui leur appartient aux deux maîtres en la matière que sont Roman Polanski et David Lynch. Du premier, des films comme Repulsion, Rosemary’s Baby et Le Locataire offrent une atmosphère et des dispositifs visuels intégralement reliés à la pathologie paranoïaque. Et même dans son plus récent et moins intensément original The Pianist, Palme d’Or au Festival de Cannes en 2002, le huis clos vécu par le musicien juif caché des nazis qu’interprète Adrien Brody n’est pas sans nourrir quelque sentiment de parano (justifiée dans ce cas précis)…

Lynch a fait de la paranoïa un élément constitutif de l’univers mental et esthétique de ses films. Et ce du premier long métrage, le bizarrissime Eraserhead, au méga film parano qu’est Lost Highway en passant par la série télévisée Twin Peaks, l’£uvre de l’étrange David plonge ses racines créatives dans une inquiétude existentielle (certains diront métaphysique) aux accents paranoïaques intenses.

Texte Louis Danvers

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