DOCUMENTAIRE PASSIONNANT, FREE TO RUN RETRACE L’HISTOIRE DE LA COURSE À PIED, PASSÉE EN 50 ANS D’ACTE MILITANT À PHÉNOMÈNE UNIVERSEL.

« Rien ne sert de courir; il faut partir à point », affirmait La Fontaine dans la fable Le lièvre et la tortue. Une morale à laquelle souscrirait sans doute Fabrice Estève, coproducteur avec Yuzu, sa société créée en 2011, de Free to Run, le documentaire que consacre le cinéaste suisse Pierre Morath à la course à pied. Huit ans ont été nécessaires à l’aboutissement d’un film porté par un réalisateur arborant un profil peu banal, puisqu’il est encore historien, journaliste et ancien athlète d’élite. « Le projet, quand il m’est arrivé, était extrêmement abouti, souligne Estève, venu présenter le film au festival de Valenciennes. Il y avait déjà un scénario reposant sur toutes les recherches historiques et iconographiques qu’avait faites Pierre Morath. Bien que n’ayant pas d’intérêt initial pour le sport, j’ai trouvé l’histoire passionnante. Et une des caractéristiques de la fonction de producteur est de parfois tomber amoureux d’une histoire, et de se dire « je vais réussir à la faire », d’une manière ou d’une autre. Pendant sept ans, on a cherché comment résoudre l’équation financière », solution qui passera par une coproduction entre la France, la Suisse et la Belgique, pour un budget global de 1,2 million d’euros, cinéma oblige…

Le film le justifiait amplement, qui brosse un portrait passionnant et souvent surprenant de l’histoire de la course à pied. Pierre Morath explique, dans sa note d’intention, être parti d’un constat simple: « De nos jours, courir est quelque chose de commun. Que l’on soit homme ou femme, jeune ou vieux, mince ou gros, chacun peut se mettre à courir, à participer à des courses même, et personne ne s’en étonne plus. Il y a à peine 40 ans pourtant, les choses étaient très différentes. La course de fond était une activité puritaine et élitaire, réservée aux seuls champions de la piste ou aux stakhanovistes du marathon, cette distance de 42 kilomètres héritée d’un mythe antique et que l’on croyait alors faite pour les fous et les masochistes. Ceux qui sans être des champions s’aventuraient à courir dans la nature étaient considérés au mieux comme des excentriques et au pire comme de dangereux subversifs. »

Mutations de société

Ce basculement de l’acte marginal vers le phénomène de masse, le film le retrace à l’aide de témoignages nombreux et d’archives remarquables. Il faut voir ainsi Kathrine Switzer poursuivie par un officiel tentant de lui arracher son dossard lors du marathon de Boston en 1967, la course étant à l’époque interdite aux femmes. Ou Frank Shorter franchir la ligne d’arrivée du marathon des JO de Munich en 1972 frais comme un gardon, contribuant, ce faisant, à la popularisation de la discipline. Deux exemples qui, comme d’autres, posent ce documentaire en miroir de mutations enregistrées à l’échelle de la société. « C’était l’ambition du film, approuve Fabrice Estève. On y traverse une période d’environ un demi-siècle durant laquelle nos sociétés ont énormément changé, que ce soit sur la question de la place qu’y occupent le sport et la pratique sportive, sur la place des femmes, ou sur l’égalité d’une manière générale. » Au-delà, et sans qu’il y ait là rien d’accessoire, Free to Run montre aussi comment à l’idéalisme des premiers jours, quand courir était pratiquement un acte politique, s’est substituée une forme de consumérisme, en écho, là encore, à un glissement plus général. Comme n’importe quelle activité pratiquée de nos jours par des millions de gens, le running est devenu un enjeu commercial très important. On raconte l’histoire d’une révolution qui s’est diluée, et qui a perdu son esprit d’antan. Alors qu’à l’époque, on pouvait courir avec des slogans politiques sur le T-shirt, aujourd’hui, on court avec des sponsors. » Une dérive parmi d’autres, et le film adopte, à l’occasion de l’ouragan Sandy, un tour résolument critique. Pour autant, il n’y a pas dans cette récupération commerciale une fatalité. Comme l’indique fort à-propos le producteur, « on a gardé la liberté de rentrer dans le moule, ou pas. » Et c’est peut-être là l’essentiel…

TEXTE Jean-François Pluijgers, À Valenciennes

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