Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

LE DOUZIÈME SOLO DE PAUL WELLER POURSUIT UNE EXPLORATION BRUITISTE ET DÉVIANTE, VOIRE CULOTTÉE, DE L’IDIOME ROCK.

Paul Weller

« Saturns Pattern »

DISTRIBUÉ PAR WARNER.

8

Shit, les enceintes ont grillé. Ah non, c’est juste le premier morceau, White Sky, qui tape généreusement dans la disto. Après l’intro et un riff viril, la voix ultra-saturée émerge, comme si on avait bâillonné Paul. Seul titre mixé par les sound terrorists d’Amorphous Androgynous. On s’y fait d’autant plus que la suite ne retape pas dans la même prise d’otage vocal. Cette entrée dans le disque signe d’emblée un manifeste: celui d’être ni. Ni benoîtement binaire, ni pastoral, ni krautrock, ni électrochose, ni noisy, mais un peu d’une globalité qui relie ces éléments a priori divergents, en neuf chansons et 43 minutes voraces. Un programme plus proche du brûlot que de la semi-retraite dûe à l’âge: Paul Weller a 57 piges et l’intention de s’en foutre, narquois à la simple idée de refaire Wild Wood, ou d’évoquer ses anciennes incarnations dans The Jam ou The Style Council. Dans le civil, le père de sept moutards (!) a le sens de la famille, même si les gosses viennent de mères diverses: c’est la morale de l’album, hybride, mais dont le sens collectif est cimenté par la voix de Paul. Spasme rageur entre bruit blanc et onirisme soul. Avec le même grain qu’au tout début, il y a 38 ans, mais davantage de nuances sismiques que la simple récolte des raisins de la colère des années 70.

Facteur dissidence

Le syndrome le plus évident est le refus des chansons de toute linéarité. Par exemple, Going My Way, qui déboule en troisième place, après l’assaut sonique de White Sky et de la plage titulaire. Elle débute insidieusement en accords mineurs au piano alors que le timbre de Weller avance, séducteur. Assez vite, la ballade océane s’épaissit, gonfle et gronde, comme un foutu mal de dents qui remet les idées en place. La tentation du KO est d’ailleurs le motto du disque: tout est entremêlé de sons contractés, empilés, générés en orbite autour du noyau mélodique de chaque morceau. Harmonica, choeurs, guitares et orgue mais aussi Moog et mellotron viennent sortir la rythmique de toute tentation monocorde. Il faut en digérer les couches et décrypter leur agencement périphérique: Pick It Up, synthés exagérés et choeurs de gospel blanc. I’m Where I Should Be, virus pop corrodé de l’extérieur, In The Car… , country-folk hypnotisé par sa propre dissonance. Ou par le facteur de dissidence, auquel Weller semble désormais faire allégeance. Quitte à concevoir des albums à succès -tout au moins en Angleterre- qui demandent une digestion avant d’en capter pleinement le sens et le plaisir. Pas d’emblée jouissif mais agréablement corrosif.

PHILIPPE CORNET

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