Cinq formations traditionnelles du Kasaï branchent les amplis et se rejoignent pour former un supergroupe.

Ce n’est pas tous les jours qu’arrivent de bonnes nouvelles du Congo. Il ne faut donc pas passer à côté de celle-ci. En tout cas pour les oreilles cu-rieuses, en particulier celles qui auront déjà été titillées par les deux premiers CD de la collection Congotronics. Une série éclairée, toute entière tournée vers ce mélange entre tradition et modernité, percussions et électricité. Il y a eu par exemple Konono n°1: la transe orchestrée par ses likembe – ces petits lamellophones amplifiés – ont frappé l’imagination de gens comme Björk, Carl Craig, ou encore les postrockeurs cérébraux de Tortoise. Voici aujourd’hui que débarque le Kasai Allstars. Le titre de son disque est aussi baroque, coloré et hypnotique que sa musique – on traduit: Lors de la 7e lune, le chef s’est transformé en poisson volant et a mangé la tête de son ennemi par magie.

De magie, il en est bien question. D’abord, parce que le projet était tout sauf évident à mettre en place. L’Allstars regroupe en effet des membres de 5 groupes et ethnies différentes. Mputu Ebondo, mieux connu sous le nom de Mi Amor, est le leader de Basokin, l’une des cinq formations. Il est aujourd’hui devenu également le porte-parole du Kasai Allstars:  » L’initiative d’un tel rassemblement ne serait jamais venue de nous. On peut bien former une association du folklore kasaïen, mais c’est plus compliqué de monter une union des musiciens qui s’expriment sur la même scène. » Il a donc fallu un facteur extérieur, une motivation inédite. C’est là qu’intervient le Belge Vincent Kenis, musicologue et musicien:  » J’ai commencé à jouer dans les bars de salsa à Bruxelles, quand il y en avait encore. C’est par le biais de la musique cubaine que j’ai rencontré la musique africaine et que j’ai d’ailleurs commencé à jouer avec des groupes congolais. » Plus tard, c’est déjà lui qui entreprendra de mettre Konono sous les projecteurs .  » Il y avait également tous ces groupes kasaïens que je voulais faire venir jouer en Europe. Mais c’était impossible de tous les emmener. J’ai alors proposé de se limiter à un ou deux membres par formation. »

équilibriste

L’idée est limpide. C’est surtout une vraie gageure.  » Quand Vincent a fait cette suggestion, il y a eu un flottement, explique Mi Amor . On ne voyait pas comment c’était possible. Chaque groupe folklorique est le porte-étendard de la tribu. Quand on organise une manifestation à Kinshasa, il y a moyen de se rassembler. Mais sur place, ce n’est pas la grande fraternité. Dans la plupart des cas, on improvise même des quolibets. De la rivalité à la convivialité, cela n’est pas évident. Mais on a tenté le coup. » Nécessité fait donc loi. Si les bonnes volontés sont là, reste malgré tout à s’entendre sur le répertoire. Or, avec un territoire grand comme la France, le Kasaï propose un champ musical immense. Mi Amor précise:  » Pour former une équipe de football, l’entraîneur puise comme il veut dans les clubs. Ce n’est pas le cas en musique, où les formes et les contenus peuvent varier très fort. Chaque groupe parle déjà une langue différente! Apres cela, les mélodies ne sont pas les mêmes, les instruments non plus. » Comment faire alors ?  » On joue un morceau de chaque groupe, mais l’orchestration est enrichie des instruments des autres formations. » Autrement dit, les mélodies de chacun restent telles quelles, seuls les instruments pour la jouer changent. Ce qui oblige à certains numéros d’équilibriste, ou en tout cas à deux, trois adaptations, quand par exemple la guitare électrique reprend le rôle du likembe.  » Il faut faire preuve d’un certaine inventivité, insiste Vincent Kenis . Quand on regarde par exemple ce qui a été fait pour le Ballet national du Zaïre, tout le monde était aligné sur la même tonalité. Avec le Kasai Allstars, on voulait garder la spécificité de chaque instrument. Quitte à ce qu’il ne rejoue pas toutes les notes de base. Jamais on a essayé de fondre ou de raboter les différentes identités. » Un point commun entre toutes ces musiques?  » Le tambour peut-être. C’est toujours lui qui guide les danseurs. Il anticipe et signale les changements. »  » Même si là aussi, précise Mi Amor, il y a des différences dans la manière de régler la membrane du tam-tam. Chez les Balubas, par exemple, il sonne plus aigu que chez les Basonge. »

Ironie

On a déjà pu voir le résultat unique de cette combinaison au Bozar, l’an dernier notamment. Même si, en termes de tournée, rien n’a l’air facile, la pêche au visa paraissant toujours aussi calamiteuse. En 2006, par exemple, le groupe devait jouer au Womex, sorte de grand salon annuel des musiques du monde, à Séville. Mi Amor se souvient:  » Nous avons bien reçu nos papiers. Le jour même du concert, deux jours après le vol prévu… » Le groupe a également effectué une tournée au Kasaï même, en 2002. Plus facile? Pas forcement…  » A Kabinda, par exemple, on pouvait apercevoir les troupes rwandaises avec les jumelles, se souvient Vincent Kenis . Comme toute la ville était là au concert, on s’est d’ailleurs dit que c’était l’occasion idéale pour eux d’attaquer. Finalement, ils sont partis trois semaines après… » Chose qui peut paraître cu-rieuse: le Kasai Allstars est installé à Kinshasa. La ville sert en fait de refuge à leur musique traditionnelle. Paradoxal? Vincent Kenis, toujours:  » Les sectes religieuses chrétiennes ont tendance à se multiplier un peu partout. Elles exercent une influence de plus en plus grande. Or, pour ces églises, la musique traditionnelle est considérée comme une musique païenne à proscrire. » Ainsi, après avoir été persécutée par les colonisateurs, la musique folklorique est de nouveau rejetée, par sa population cette fois-ci. Et Mi Amor de pointer:  » Aujourd’hui, il est beaucoup plus facile de trouver toute une variété de tambours, de lamellophones ou de marimbas dans les musées de l’hémisphère nord que dans les villes ou les campagnes congolaises. » On a bien peur que cela ne soit pas la dernière ironie de l’Histoire…

Kasai Allstars, In the 7th moon, the chief turned into a swimming fish and ate the head of his enemy by magic, Crammed. www.myspace.com/kasaiallstars

Rencontre Laurent Hoebrechts

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content