Les plages et les attractions de l’île aux lapins ont toujours fait de l’oil au cinéma et à ses caméras. Promenade new-yorkaise en compagnie de Buster Keaton, Woody Allen et Darren Aronofsky…

Entre les buildings et l’océan, il y a le Cyclone. Des montagnes russes en bois, sans doute les plus connues du monde. La Wonder Wheel. Une grande roue de 45 mètres et plus de 2000 tonnes inaugurée en 1920. Ou encore Nathan’s Famous. Célèbre vendeur de hot-dogs (il en organise chaque année le concours du plus gros mangeur le 4 juillet, jour de la fête nationale) dont la première baraque a ouvert en 1916. Bienvenue à Coney Island. L’île aux lapins. Station balnéaire new-yorkaise où de toute évidence les familles latino et afro-américaines aiment passer leur dimanche après-midi. Et où on peut encore assister à un Freak Show. Voir des mecs qui se plantent des clous dans le nez, s’enfoncent des sabres dans la gorge et tranchent leur copine enfermée dans une caisse en bois…

On est au lendemain de la Mermaid Parade. La parade des sirènes. Créée en 1983, ce carnaval aquatique marque chaque année le début de l’été new-yorkais. Fête les plaisirs de la plage et des bains de mer. Pour cette édition 2010, le roi et la reine, ceux qui conduisent tous les participants en direction du littoral où ils coupent des rubans représentant les différentes saisons et jettent des fruits à l’eau pour apaiser les dieux, n’étaient autre que Laurie Anderson et l’ex-Velvet Lou Reed dont le sixième album studio, sorti en 1975, s’intitule Coney Island Baby.

Même si vous n’avez jamais mis un doigt de pied à New York, jamais entendu parler de Coney Island, vous avez assurément déjà vu ce drôle d’endroit aussi mythique qu’anachronique. Un peu comme si Meli avait ouvert ses portes sur la digue à la Mer du Nord. Car on en a déjà tourné, des films, sur cette ancienne île devenue péninsule, située à l’extrême sud de Brooklyn. Longue de 6,5 kilomètres pour moins d’un kilomètre de large.

Dès la fin du XIXe siècle (le premier carrousel fut installé en 1875 par Charles Looff, un sculpteur sur bois danois, au Vanderveers Hotel), les courts métrages d’Edison Manufacturing, American Mutoscope et Biograph mettent déjà en scène Coney Island et ses attractions. Dépeignant un tour de manège ou une petite scénette sur la plage.

De Fatty à la fête foraine (1917) à Cloverfield (2008) en passant par The Shopworn Angel (1938), Annie Hall (1977), Angel Heart (1987) et Little Odessa (1994), des tas de films ont été partiellement tournés dans les parcs d’amusement de Coney Island et le long de ses plages.

Coney Island, c’est le seul film où Buster Keaton rit aux éclats. Le secteur des Warriors dans Les Guerriers de la nuit (1979), film de gangs signé Walter Hill. Ou encore le terrain de jeu d’un psychopathe qui enlève ses victimes dans les manèges ( Carnival of blood). The Wiz, version noire du Magicien d’Oz, avec Diana Ross et Michael Jackson, voit quelques personnes chanter et danser sous le Cyclone. Même des films X (citons Hot Stuff) ont décoincé l’ambiance familiale qui règne autour des attractions du coin.

Petit fugitif et nouvelle vague

Si on ne dénombre pas encore davantage de tournages du côté de Coney Island, c’est que la plupart des studios sont basés à Hollywood et Culver city. Loin des yeux, loin du c£ur. La Californie préfère son sable chaud à celui de la côte Est… Pour le film The Crowd, les attractions de Venice servent de doublage à Coney Island. Tandis que pour Strike me pink, la scène de poursuite dans les montagnes russes a été filmée à Long Beach, au Cyclone Racer du Pike.

C’est que la plupart du temps, la présence de Coney Island à l’écran est anecdotique et décorative… Servant juste de cadre à l’histoire. Plus d’un demi-siècle après son tournage, l’une des plus notables exceptions reste encore et toujours Le Petit Fugitif, sorti en 1953 et récompensé par un Lion d’Argent à la Mostra de Venise. Le Petit Fugitif, ce sont les débuts du cinéma indépendant américain. L’histoire d’un gamin de 7 ans qui, persuadé d’avoir causé la mort de son frère, s’enfuit à Coney Island où il va passer une journée et une nuit d’errance au milieu de la foule et des attractions foraines.

On est dans les années 50. Et Morris Engel, ancien photographe de combats au sein de la Marine, est très attaché à ces lieux où il a passé son enfance. A l’époque, il n’existe pas encore de véritable alternative à Hollywood et les budgets de films sont très élevés. Engel invente dès lors un harnachement qui lui permet de filmer sans être vu à l’aide d’une caméra embarquée. Les figurants, authentiques, et la matérialité des attractions confèrent à son projet un aspect très réaliste, proche du documentaire qui marquera profondément la Nouvelle Vague.

Engel pose sa caméra à hauteur des yeux d’un enfant de 7 ans. Avec lui, il se faufile entre les jambes des passants, les attractions et les corps affalés sur la plage. Truffaut soulignera quelques années plus tard que sans ce petit film bricolé par 2 photoreporters, ni Les 400 Coups ni A Bout de Souffle n’auraient vu le jour. Le Petit Fugitif ou le cinéma vérité avant l’heure qui dépeint les désillusions et les enchantements de l’enfance.

Le film d’Engel, de sa femme Ruth Orkin et de Ray Ashley, représente aujourd’hui un inestimable témoignage de son époque. Une époque où les gamins passaient des journées à ramasser des bouteilles de coca vides qui, échangées contre quelques cents, leur permettaient de s’offrir des tours de manège…

Vestiges d’un passé regretté

On ne peut pas non plus parler de Coney Island sans évoquer le Annie Hall de Woody Allen. L’un de ses personnages principaux, Alvy, a grandi dans une maison construite sous les rails du Thunderbolt.  » Ce n’était pas prévu initialement dans le scénario mais quand j’ai repéré cet endroit en me promenant dans Brooklyn, je me suis dit que je devais l’utiliser d’une manière ou d’une autre« , commenta un jour à ce sujet le réalisateur new-yorkais.

Outre la maison de May Timpano et Fred Moran, les propriétaires du manège qui y ont vécu pendant plus de 40 ans ( » ça ne tremblait pas autant que dans le film« ), cette petite bâtisse a longtemps été un hôtel. Un hôtel construit en 1895 et qui résista à 2 feux au début du XXe siècle. Lorsqu’en 1926, il décide d’engager le plus célèbre « roller coaster designer », John Miller, pour dessiner son attraction, le proprio de l’époque, George Moran, fait tout pour préserver l’habitation de fortune. Quitte à y faire passer les poutres en acier du Thunderbolt.  » Parce qu’on ne détruit pas un building à Coney Island quand on peut l’éviter« , dit-il alors.

Ce n’est apparemment pas un avis partagé par tout le monde. Tous 2 ont été détruits le 17 novembre 2000. Et de nos jours, Coney Island sert souvent à illustrer les vestiges d’un passé regretté. Que ce soit dans le feuilleton The Sopranos ou le jeu vidéo GTA IV. Dans le Requiem for a dream (2001) de Darren Aronofsky, qui décrit le quotidien d’accrocs, que ce soit à la drogue, aux médocs ou à la télé, le quartier est d’ailleurs présenté comme un paysage désolé.

Si depuis 2000, Coney Island a son festival de cinéma, si l’ouverture du Luna Park, un parc d’attractions, en mai dernier, marque le début d’une importante campagne de revitalisation, un plan de développement immobilier menace de destruction quelques bâtiments avoisinants datant de la fin du XIXe siècle et du début du XXe. Historiens et associations se mobilisent et réclament à coups de pétitions et de lettres ouvertes la classification du quartier en patrimoine historique.

Texte Julien Broquet, à New York

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