DEPUIS 2007, DAVID LYNCH A ENTREPRIS UN RETOUR AUX SOURCES ARTISTIQUE. L’HORIZON DE CE VOYAGE? L’IMAGE FIXE… QU’IL FAIT SURGIR DE LA PIERRE MAIS AUSSI DU BOIS. À LA LOUVIÈRE, LE CENTRE DE LA GRAVURE EXPOSE, POUR LA PREMIÈRE FOIS EN BELGIQUE, CES ESTAMPES TRAVERSÉES PAR L’OMBRE ET LA LUMIÈRE.

Même au téléphone, même séparé par un océan, même en peu de temps, David Lynch raconte les histoires comme personne. Un vrai de vrai storyteller, en cela très américain. Sa voix qui grésille à des milliers de kilomètres plante le décor aussi sûrement que le ferait un écran géant si l’on était assis dans une salle de cinéma. Le réalisateur de Mulholland Drive hameçonne sa victime, à l’autre bout du fil, par un début en forme de révélation. « Enfant, je passais mon temps à peindre et à dessiner. A 19 ans, j’ai suivi une formation artistique à la Pennsylvania Academy of Fine Arts de Philadelphie. Un jour, alors que je travaillais dans l’atelier, des petits personnages en papier que j’avais collés sur une toile se sont mis à bouger sous l’action d’un courant d’air. Ça m’a littéralement fasciné, un nouveau champ de possibles s’ouvrait à moi. Cet incident banal en apparence est au départ de ma vocation de cinéaste.  » Six mois plus tard, Lynch pose les fondations de la carrière qu’on lui connaît en signant Six Men Getting Sick (1967), son premier court métrage qui se présente à la façon d’une peinture en mouvement.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la suite de l’aventure –Eraserhead, Elephant Man, Blue Velvet, Twin Peaks, Lost Highway, Inland Empire…- n’a pas poussé David Lynch à renier son engouement premier pour l’image fixe. « Il n’a jamais été question pour moi de me fermer à quelque médium que ce soit. J’ai toujours continué à peindre, à dessiner, à photographier… Avec le temps, je me suis même ouvert à la musique.  »

N’empêche, depuis qu’il est passé derrière la caméra, ses créations plastiques sont toujours restées l’arrière-plan secret de son imaginaire. C’est une rencontre en 2007 qui va faire croiser la lumière du jour à ce magma fécond. Lors d’un séjour à Paris, Lynch fait la connaissance de Patrice Forest, directeur de l’imprimerie d’art parisienne Idem, un endroit magique où subsistent des presses sur lesquelles ont travaillé Picasso, Giacometti ou Matisse.

« On lui a donné une toute petite pierre, le résultat ne s’est pas fait attendre, sa première lithographie était absolument époustouflante« , commentait Patrice Forest dans une vidéo réalisée à l’occasion d’une exposition au Frac Auvergne. Un avis partagé par Catherine de Braekeleer, directrice du Centre de la gravure, qui écrit à l’unisson de cet enthousiasme: « Cette oeuvre, telle un soleil noir ou une nébulosité mentale faite de rêves obscurs et de mystères indicibles, nous aspire dans les ténèbres, nous engloutit au plus profond de nous-mêmes et de nos parts d’ombres.  »

Une nouvelle révélation

C’est que pour David Lynch, la lithographie a tout d’une nouvelle révélation. Le cinéaste est frappé par la dimension physique du procédé: « Je travaille directement sur la pierre avec mes mains, ce contact fait d’elles des outils vivants qui laissent une place à l’accidentel, au tâtonnement…  » Il traduit alors en lithographie des dessins abstraits réalisés sur post-it qui donneront naissance à la série Paris Suite. Ce sont ensuite près de 170 lithographies qui naissent sur ces pierres, l’artiste revenant chaque année quelques semaines pour travailler dans cet atelier propice. Plus récemment, entre novembre et décembre 2012, David Lynch découvre les possibilités de la gravure sur bois ainsi que les variations chromatiques qu’elle offre.

Si c’est avec une grande facilité que le réalisateur de Wild at Heart déroule la pellicule de son retour à l’évidence des arts plastiques, il accompagne le mouvement, comme à son habitude, d’une bonne dose de mystère. Lynch rechigne à démonter les rouages de son travail, quel qu’il soit, lui qui a fait de l’inexpliqué son fonds de commerce. Si on tente de forcer le passage, il place aussitôt des barrières. Ses estampes seraient-elles l’antichambre de son cinéma, voire la « chambre rouge », pour parler la langue Twin Peaks, où tout converge? Certainement pas. « Chaque média est infiniment profond, possédant sa propre logique. Chaque média vous parle d’une certaine façon, un dialogue se fait sur le mode action-réaction« , lance-t-il sibyllin. Tout au plus concède-t-il une dimension nostalgique à la démarche. A la façon d’un saumon, la lithographie, « qui ressemble à la peinture« , le ramène à ses débuts, « une période durant laquelle le cinéma n’était pas encore passé à l’avant-plan« . Il évoque également la nécessité de multiplier les médias « comme autant de façons d’enrichir la vie artistique, la meilleure vie qui soit« . Reste que pour le cinéphile, le prochain long métrage se fait attendre. On s’inquiète même de la proximité temporelle entre son dernier film –Inland Empire en 2006- et ses nouvelles explorations graphiques qui ont débuté en 2007… Un mode de création aurait-il supplanté l’autre? Philosophe, Lynch n’entend pas précipiter le cours des choses. « Je n’ai pas eu d’idée suffisamment satisfaisante pour le cinéma depuis Inland Empire… Cela peut changer, rien n’est à exclure. Je vais là où les idées me mènent. »

CIRCLE OF DREAMS, ESTAMPES ET COURTS MÉTRAGES, CENTRE DE LA GRAVURE ET DE L’IMAGE IMPRIMÉE, 10, RUE DES AMOURS, À 7100 LA LOUVIÈRE. DU 23 FÉVRIER AU 19 MAI PROCHAIN.

WWW.CENTREDELAGRAVURE.BE

ENTRETIEN MICHEL VERLINDEN

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