Complètement Dada

© HANNAH HÖCH (1889-1978), AUS EINEM ETHNOGRAPHISCHEN MUSEUM NR. IX., 1929 - Galerie Natalie Seroussi; Adagp, Paris 2017

Le Musée de l’Orangerie examine comment les dadaïstes se sont approprié un corpus d’oeuvres extra-occidentales pour faire surgir un nouveau langage.

Une étincelle dans la nuit. Un soubresaut en plein coeur d’une épouvantable boucherie. Telle est la mouvance Dada, qui voit le jour en 1916 à Zurich. Partout en Europe la guerre fait rage. Dans les tranchées, l’humanité part en fumée, au propre comme au figuré. Face à ce carnage, Hugo Ball et Richard Huelsenbeck, les fondateurs du mouvement, réfléchissent avec la rigueur des mathématiciens: puisque c’est à cette folie dévastatrice qu’ont mené les valeurs traditionnelles de l’Occident, alors il est urgent de rompre, de se révolter, d’imaginer quelque chose de tout autre. « Nous voulons supprimer le désir pour toute forme de beauté, de culture, de poésie, pour tout raffinement intellectuel, toute forme de goût, socialisme, altruisme et synonymisme« , écrivent-ils dans leur Manifeste littéraire resté comme la pierre angulaire de cette idéologie frondeuse. L’essence même du dadaïsme se résumera dès lors en un mot: défiance. Défiance vis-à-vis de la politique, vis-à-vis de la religion, vis-à-vis de la famille, mais également défiance vis-à-vis de l’art. Pour tous ceux qui se sont intéressés au phénomène, cet ADN profondément révolutionnaire est notoire, pas la peine d’en faire une exposition. Il reste que le modus operandi de cette insurrection n’a pas souvent été mis à jour. Le Musée de l’Orangerie de Paris le donne à voir sous un angle inédit, celui de l’esthétique. Avec une pertinence totale, Dada Africa montre ce dynamitage des formes classiques à travers l’appropriation de types de productions artistiques « radicalement autres« . Celles-ci seront fournies par l’art et la culture de pays extra-européens -on notera qu’en dépit du titre, il n’est pas seulement question d’Afrique ici, l’accrochage convoque également des productions traditionnelles amérindiennes et asiatiques.

Période séminale

Si le continent noir a été privilégié pour ce qui est de la communication, c’est parce qu’il s’agissait d’un axe majeur de la pensée dada, dont les fameuses « soirées nègres » au Cabaret Voltaire, lieu de naissance de la mouvance, donnaient le ton d’un carambolage artistique dans lequel se mêlaient musique, poésie, danse et syncrétisme géographique. Par le biais de peintures, sculptures, photographies et brillants collages -mention pour le travail d’Hannah Höch (1889-1978)- coexistant avec leurs sources probables d’inspiration, Dada Africa restitue la force de ces transplantations iconoclastes qui s’opéraient sur fond de libération.

On reste sans voix devant les oeuvres d’une Sophie Taeuber-Arp, l’épouse de Jean Arp signant des motifs dont les formes irrigueront la totalité du XXe siècle. Idem pour les photographies qui la représentent en train de danser: on ne peut s’empêcher de voir là l’acte de naissance de la performance. Toutes les oeuvres sélectionnées disent cette autre façon de créer en libérant le champ pulsionnel. Très émouvants à ce titre sont également les masques de Marcel Janco, compagnon du mouvement dès la première heure. On mesure leur incroyable pouvoir catalyseur. Une fois cette parure placée sur le visage, on ne peut que sortir de soi ou voyager vers une quelconque scène primitive. C’est un fait: après Dada, l’art largue les amarres, il ne sera plus jamais le même.

Dada Africa

Musée de l’Orangerie, 1 place de la Concorde (Jardin des Tuileries), à Paris. Jusqu’au 19/02. www.musee-orangerie.fr

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