TROIS ANS APRÈS VERSAILLES ET SES EXCLUS, PIERRE SCHOELLER S’ATTACHE AU QUOTIDIEN D’UN MINISTRE ET DE SON ENTOURAGE LE TEMPS DE L’EXERCICE DE L’ÉTAT. UN FILM FÉROCE, PHYSIQUE ET PULSIONNEL. TRÈS FORT.

Pour Versailles, qui offrait à Guillaume Depardieu l’un de ses derniers beaux rôles, il filmait des paumés évoluant dans un cruel envers du décor. Aujourd’hui, avec L’Exercice de l’Etat ( lire la critique page 30), il emboîte le pas des puissants, en charge du pouvoir. Les 2 faces d’une même réalité, en somme: celle de la société française -et au-delà- d’aujourd’hui. A croire que chez Pierre Schoeller, les films sont appelés à tisser des dialogues entre eux…  » Oui, mes 2 films se répondent. Quand Versailles interrogeait l’état de pauvreté dans nos démocraties, L’Exercice de l’Etat pose la question de la difficulté à agir sur les choses. Nous vivons une période complexe, de crise. La figure principale du film, c’est la catastrophe: on est quelque part soumis à une catastrophe permanente. Il s’agit donc de voir comment ces hommes qui sont censés tenir le gouvernail, les leviers de l’action, réagissent ou pas. Qu’est-ce qui les fait agir? Qu’est-ce qui retient leur action? D’où la tension du film, son côté thriller. Parce que la situation est critique, qu’il y a un sentiment d’urgence. Le film date de 8 ans dans ses intentions, et plus le temps passait, plus cette situation se tendait dans le paysage politique. J’ai essayé de témoigner de ça. »

Soit le quotidien, pour le moins intense, saisi dans sa réalité la plus brute, de Bertrand Saint-Jean (Olivier Gourmet, impérial), ministre des Transports du gouvernement français, et de ses proches collaborateurs. Pour un récit évoluant résolument à rebours des attentes balisées par une pléthore de films à teneur politique aux considérations aussi chiches que prévisibles.  » Le film n’est pas dans l’idéologie ou dans la description d’un scandale d’Etat. Ça, la presse le fait très bien: le cinéma n’a pas besoin d’investir ce terrain-là. Les coulisses de la vie politique française ne m’intéressaient pas en soi: je voulais saisir le rapport entre émotion et pouvoir. C’est vraiment très stimulant de mettre au c£ur du projet d’un film quelque chose qui ne se donne pas à voir immédiatement. Parce que je pense que le pouvoir dans sa réalité et dans ce qu’il a de plus concret, de plus immédiat, de plus humain, ne se donne pas à voir. Ce qu’on voit du pouvoir, c’est un jeu médiatique. Je voulais approcher, avec rigueur, lucidité et férocité, sa réalité. Filmer au plus près des sentiments. Sans a priori, sans juger. Parce que si vous commencez à juger, vous vous prenez les pieds dans le tapis, et vous vous contentez de raconter votre jugement. »

On l’aura compris, les films à thèse, déroulant paresseusement leur message jusqu’en leur traditionnelle pirouette morale, très peu pour Pierre Schoeller. La nervosité chevillée au corps, L’Exercice de l’Etat embrasse ainsi une foule de thèmes et de préoccupations denses, complexes. Mieux, les difficultés voire les contradictions rencontrées dans le landerneau politique ne manquent pas de renvoyer, par un effet de ricochet intime, vers celles qui agitent potentiellement tout un chacun.  » Le film parle notamment de l’état d’ivresse et de la solitude au sein du pouvoir. Du fait que la chose publique est mangée de l’intérieur par le privé, et que l’action politique est empêchée. Ça touche donc à des questions de territoire, et de fauves qui y livrent leur combat. Vous avez cet homme qui est possédé par un démon et qui en même temps n’arrive pas à agir: je crois que cette contradiction est partagée par tout le monde. Cette difficulté à se déterminer dans un monde qui se trouve dans un état de panique, de crise. En définitive, ce ministre, c’est un homme de son temps, qui parle de son temps. »

Politique spectaculaire

Troublant d’authenticité, le film de Pierre Schoeller ne se contente pourtant pas de sa seule dimension réaliste, et tire sa plus grande force de cette incroyable capacité à être en prise sur le réel tout en déployant une puissance visuelle et narrative purement cinématographique.  » C’est vraiment la question qui me passionne. Cette confluence, ce point de rencontre qui fait que le cinéma peut parler de ce que l’on vit tout en provoquant dans la salle un moment privilégié, quasi chamanique, où on ressent un truc intime, physique. Ça me semble être la raison d’être de faire des films. Il faut être juste mais constamment aller chercher le cinéma. Au moment de la préparation du film, Inception est sorti sur les écrans et je l’ai vu 2 fois. Je disais à mes collaborateurs: « Il faut penser au spectaculaire! » Parce que mon sujet avait cette dimension monumentale. Les lieux de pouvoir, avec leur hauteur de plafond, leur épaisseur de moquette, leurs rituels, sont très spectaculaires. Il fallait les filmer sans humilité, avec ce sentiment de grandeur qui est aussi la grandeur de la charge. »

De quoi insuffler à cet Exercice de l’Etat une ampleur, un lyrisme, inespérés.  » Il ne s’agit pas d’un film sur le pouvoir, mais d’un film sur l’action. D’où les grands espaces: les plus grands films politiques sont des westerns. Même la scène d’entretien entre le ministre et l’intervieweur d’Europe 1, c’est une scène de western. La parole faisant office de pistolet. »

Thriller politique? Western politique? Si le cinéaste français en appelle volontiers au cinéma de genre pour évoquer son nouveau film, c’est encore et toujours à l’image de bêtes sauvages qu’il se réfère quand il parle de ses personnages.  » La métaphore animale fonctionne très bien: les hommes de pouvoir sont des fauves, increvables. Ils ont une capacité à survivre phénoménale. Et ils tirent de ce mode de survie un sentiment de puissance plus fort encore. » Welcome to the jungle.

RENCONTRE NICOLAS CLÉMENT

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