Colère noire

Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

EXASPÉRÉ PAR LA SITUATION DE LA COMMUNAUTÉ AFRO-AMÉRICAINE, LE RAPPEUR COMMON SORT UN ONZIÈME ALBUM VIBRANT. WHAT’S GOING ON?…

Common

« Black America Again »

DISTRIBUÉ PAR DEF JAM/UNIVERSAL.

8

C’est l’un des paradoxes des huit ans que Barack Obama a passés à la tête des Etats-Unis: avant même l’arrivée de son successeur, autrement plus polarisant, il aura fallu un président noir pour que l’Amérique se retrouve à nouveau en proie aux tensions raciales. Qui aurait cru par exemple, en voyant arriver au pouvoir un démocrate métis, qu’un mouvement baptisé Black Lives Matter verrait le jour? Le collectif s’est monté en réponse aux violences policières et autres dérapages, touchant plus particulièrement la population noire.

Dans la foulée, il a été accompagné de sa propre « bande-son ». Les artistes afro-américains n’ont en effet pas manqué d’apporter leur voix au débat. Les exemples n’ont pas manqué ces dernières années, lame de fond donnant naissance à quelques disques marquants -de D’Angelo (Black Messiah) à Kendrick Lamar (To Pimp a Butterfly). D’aucuns diront même que la démarche est devenue un exercice imposé. S’agissant du rappeur Common, on ne pourra cependant pas lui reprocher de prendre le train en marche. En 2014 déjà, l’album intitulé Nobody’s Smiling revenait sur les événements et, plus largement, la vie dans le ghetto. Celui qui est né et a grandi à Chicago -la ville d’… Obama- se faisait le relais d’une population afro-américaine en colère, et cela avec une inspiration renouvelée, pointant les problèmes sans pour autant tomber dans la démagogie facile.

Great black music

A cet égard, le nouveau Black America Again poursuit la tâche, reprenant le débat là où Common l’avait laissé. Sur la pochette, le portrait sombre de Nobody’s Smiling a laissé place à celui de deux femmes dont les cheveux paraissent en feu -comme un indice supplémentaire que l’identité noire se cristallise, aujourd’hui plus que jamais, autour de la coupe à arborer, afro naturelle ou défrisée et lissée (écho au Don’t Touch My Hair de Solange, sur son dernier album). Produit par l’impeccable Karriem Riggins, rappelant régulièrement la maestria d’un J Dilla, le onzième disque de Common s’abreuve à tout ce que la great black music a pu produire, de la soul au funk en passant par le jazz (l’interlude On a Whim). Puisque le but est bien de rapporter ce qu’a été (Pyramids, Letter To the Free, revenant sur le 13e amendement abolissant l’esclavage), et ce qu’est encore aujourd’hui l’expérience afro-américaine. Le morceau-titre est un bon exemple. Démarrant au quart de tour -« Here we go, here, here we go again/Trayvon’ll never get to be an older man », référence à l’ado noir de 17 ans abattu par un membre d’une milice privée en 2012-, il sample la voix de James Brown et invite Stevie Wonder à rejoindre le débat. « You put a nigga in Star Wars/Maybe you need two/And then, maybe then we’ll believe you », glisse notamment Common, résumant bien l’atmosphère générale du disque, exaspérée et remplie de colère. Mais aussi combative et volontaire, loin de toute lamentation geignarde.

LAURENT HOEBRECHTS

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