L’art en contrebande – Trois maîtres-films de ses débuts confirment l’étendue du talent de Richard Fleischer, un auteur au service des studios.

Child of Divorce. Avec Sharyn Moffett, Regis Toomey, Madge Meredith. 1946. 1 h 02.

Armored Car Robbery. Avec Charles McGraw, Adele Jergens, William Talman. 1950. 1 h 07.

The Narrow Margin. Avec Charles McGraw, Marie Windsor, Jacqueline White. 1952. 1 h 11. Twin Pics.

S’il a tourné divers classiques, de Fantastic Voyage à The Boston Strangler, Richard Fleischer n’a jamais bénéficié d’un statut d’auteur, la critique se bornant à voir en lui un artisan, même doué.

Réalisés à ses débuts pour la RKO, les trois films ici réunis démontrent pourtant à la fois un talent immense et une indéniable personnalité. Auteur, Fleischer l’était tant par la manière, âpre, nerveuse et inventive que, à l’occasion, par les thématiques et sa façon de les aborder – postulat dont Child of Divorce, son premier long métrage, apporte l’éloquente démonstration. Une fillette de 8 ans y assiste, meurtrie, à la séparation de ses parents, refusant ensuite de se résoudre à leurs nouvelles vies. Trame mélodramatique classique à laquelle Fleischer confère toutefois un sentiment de malaise d’une rare modernité, lequel s’insinue dès le premier plan d’un bonheur qui n’est déjà plus qu’illusoire.

A l’abri de tout sentimentalisme, le film ne se détournera pas de cette ligne dérangeante que soulignent une mise en scène tendue – l’audition au tribunal est un modèle du genre -, mais aussi l’interprétation de Sharyn Moffett, enfant-actrice d’une formidable densité.

Le film noir sera toutefois le terrain d’expression privilégié de la sécheresse de Fleischer. A cet égard, tant Armored Car Robbery que The Narrow Margin constituent d’étincelantes réussites. Film de hold-up, le premier ramasse son intrigue et refuse toute psychologie, pour atteindre une efficacité rarement égalée – ne cherchez pas ailleurs où Kubrick trouva l’inspiration pour The Killing. Quant à The Narrow Margin, c’est un authentique chef-d’£uvre où, dans l’univers confiné d’un train, Fleischer signe une mise en scène au cordeau, venue magistralement souligner la tension d’une intrigue où l’ambiguïté règne en maîtresse absolue. Marie Windsor et Charles McGraw ont rarement été meilleurs, et le film est un pur bonheur. Comme, du reste, les compléments accompagnant cette édition, qu’il s’agisse d’une interview réalisée dans la somptueuse villa hollywoodienne du cinéaste ou des commentaires éclairés de Bertrand Tavernier expliquant comment Fleischer sut « passer son art en contrebande ».

Jean-François Pluijgers

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content