Le disque de la rentrée fait le maximum avec le minimum. Ou comment les 4 jeunes Londoniens de The xx redonnent des couleurs au spleen nocturne. Vive l’automne!

A quoi ressemble la révélation musicale de cet automne 2009? Les faits d’abord: The xx vient du sud-ouest de Londres, chacun des 4 membres affichant la vingtaine. Malgré leur nom de groupe un poil abscons, leur premier album éponyme est encensé quasi unanimement par la presse. Hype il y a donc, mais pour une fois elle n’a pas été lancée depuis des mois sur le Net. Cela étant, le mieux pour se faire une idée du groupe est encore de jeter un coup d’£il au clip de son premier single, Crystalised. Romy Madley Croft (guitare, voix), Oliver Sim (basse, voix), entourés de Jamie Smith (beats) et Baria Qureshi (clavier, guitare) sont alignés devant un mur, dans une semi-obscurité. Le regard vide, tête baissée. Ils exécutent leur chanson, mais ce sont eux qui ont l’air attachés aux poteaux, face au peloton prêt à tirer. The xx, c’est en fait le retour d’une pop crépusculaire et décharnée, où le spleen des mélodies est porté par des arrangements diaphanes.

Début septembre, quand on rencontre Madley Croft et Sim, le soleil estival est encore généreux. Une table se libère à la terrasse du café, mais à vrai dire, on a presque l’impression que le duo préférerait se réfugier à l’intérieur. L’ombre toujours plutôt que la lumière, pour un groupe qui n’a rien de l’arrogance qui accompagne souvent les groupes anglais, « buzzés » à tout va. Madley Croft et Sim forment le noyau de The xx, chacun assumant une partie du chant – elle, voix pastel et langoureuse, lui plus ombrageux, comme une sorte de Tricky jeune. Oliver Sim: « Quand on a commencé à jouer ensemble, aucun de nous n’osait se lancer en premier. Du coup, on a directement chanté ensemble. » Les deux se connaissent depuis longtemps. En fait, depuis toujours. « A 3 ans, on fréquentait la même école maternelle. Puis par après, la même classe de primaire, le même collège… Un sacré bail… Quant à Jamie et Baria, on les a rencontrés en secondaire, quand on avait 11 ans. Donc on peut dire qu’on a grandi ensemble… » Ils ont 16 ans quand le groupe se forme réellement, commençant par reprendre dans la même foulée la teenage pop de Wham! et les saillies bruitistes des Pixies… Plus récemment, ils se sont attaqués au Hot Like Fire d’Aaliyah, l’icône r’n’b, et au Teardrops de Womack & Womack. Autant d’escapades qui, au départ, semblent à mille lieues des propres chansons naufragées qui hantent leur premier album.

Minutes de silence

Des chansons souvent faites de 3 fois rien. Et c’est peut-être pour cela qu’on ne s’en lasse pas. Loin du bruit et de la frénésie, The xx n’oublie jamais de laisser des espaces et des blancs. L’influence de gens comme Philip Glass, sur lequel Romy avoue s’être penchée – « je me vois encore dans le local de répèt de l’école, en train de jouer pendant des heures le même riff de guitare. » Une question de personnalité surtout. Oliver Sim: « C’est vrai qu’on n’est pas des gueulards. » On devine qu’ils auraient même tendance à se le jouer profil bas. Romy: « Cela tient aussi au fait qu’on ne joue pas très bien. On n’est pas des gros techniciens, donc il faut que cela reste simple. » Ces étendues et ces silences, le groupe en a fait une véritable signature. Du coup, quand il a fallu enregistrer pour de bon les morceaux, c’est un des leurs, Jamie Smith, qui s’est chargé de la production. « On ne voulait justement pas d’un producteur qui se serait mis en tête de combler ces vides. Jamie était le bon choix, vu son expérience, le fait qu’il fasse partie du groupe, qu’il sait exactement comment nous sonnons. » Et le label de donner carte blanche…

En fait, quand les gens de Young Turks découvrent le groupe, il n’est pas tout de suite question d’album. Ils commencent par offrir au groupe un studio de répèt pendant un an et se chargent de leur trouver des concerts. La journée, Madley Croft et Sim enchaînent les petits boulots. Mais dès qu’ils regagnent le domicile familial, ils s’enferment dans leur chambre pour travailler leurs morceaux. Chacun de son côté. Romy:  » On se parle pas mal via iChat (le service de messagerie instantané d’Apple, ndlr). Oliver, par exemple, commence à écrire, m’envoie un message, auquel je réagis. On n’explique jamais à l’autre ce que l’on veut dire. Cela reste un mystère. Il arrive que j’aie plus ou moins une idée de ce à quoi pense Oliver, mais je ne sais pas précisément ce qu’il y a derrière et je ne lui demande jamais. »

Nuit blanche

Une même chanson, chacun dans son monde. Cela donne une sorte de duo étrange où l’un et l’autre s’écoutent sans se regarder. Sur un titre comme Crystalised, ils en viennent même à chanter en même temps un couplet différent. Oliver: « Tout le monde n’était pas convaincu. Mais on trouvait que cela avait du sens. Et puis, on aimait bien l’idée que cela fasse penser à toutes ces vieilles comptines, toutes ces berceuses qui fonctionnent en canon. »

Peut-être parce qu’eux-mêmes ont énormément de mal à trouver le sommeil. Forcément: de Shelter à Infinity en passant par… Night Time, l’univers de The xx est d’abord et avant tout nocturne. Le genre de nuit blanche passée à arpenter le pavé de la ville, à brasser l’écume des jours, ses paradoxes ( I can’t let it out, I still let you in), ses défaites ( Maybe I had said/Something that was wrong/Can I make it better/With the lights turned on?)… Oliver sourit: « A la maison, j’attendais généralement que tout le monde soit endormi pour commencer à travailler sur les chansons. » Romy confirme: « J’aime être éveillée au milieu de la nuit. Quand on bossait sur l’album, je me suis souvent retrouvée à 4, 5 heures du matin, encore occupée à écrire. Jamie aussi, par exemple, a produit le disque la nuit. Il arrivait au studio et repartait le lendemain matin. On ne faisait plus que le croiser. Mais c’est comme ça qu’il préfère travailler. Comme moi. C’est à ces heures-là que les choses sortent, que je suis la plus créative. Quand vous arrivez à ce stade, vous commencez à être vraiment fatigué, les choses se brouillent, les émotions prennent de plus grandes proportions… » A l’heure où l’on boucle ces lignes, on ne lui donnera pas tort…

The xx, distribué par Young Turks/XL Recordings.

En concert le 11/10, à Bruxelles, Botanique (complet) et le 31/10 à Bruges, Concertgebouw (Music in mind festival).

Rencontre Laurent Hoebrechts