MEXICAN GRILL – LA FRONTIÈRE ENTRE LE MEXIQUE ET LES ÉTATS-UNIS EST UNE ZONE DE FRICTION. CAPUTO EN FAIT LE THÉÂTRE D’UN THRILLER ÉPIQUE METTANT LE DOIGT SUR LES PLAIES DU MONDE.

DE PHILIP CAPUTO, ÉDITIONS DU CHERCHE MIDI, TRADUIT DE L’ANGLAIS (ÉTATS-UNIS) PAR FABRICE POINTEAU, 736 PAGES.

Les -bons- écrivains américains n’ont pas leur pareil pour faire souffler le vent de l’Histoire dans les voiles littéraires. Démonstration éclatante encore avec Philip Caputo, vieux loup de mer qui navigue dans les eaux troubles du roman et du journalisme depuis la fin des années 60. Et qui a choisi pour sa dernière expédition au large de la fiction la frontière avec le Mexique. Une zone à haut risque qui vit au rythme des trafics en tout genre, drogues et êtres humains en tête.

Thriller choral se déployant sur 3 étages temporels (le début du XXe, 1966 et 2003), Clandestin multiplie les points de vue et les couches narratives pour cerner au plus près la réalité complexe de ce point chaud du globe. Et pas que par les températures qui y sévissent en été. Le check-point de l’eldorado ricain attise tous les espoirs et tous les vices. Les premiers n’ont que peu de chances de survivre à la mafia locale, au désert ou à la police des frontières, les seconds par contre prospèrent à l’ombre du colosse en l’arrosant de stupéfiants et d’immigrants illégaux, dans un équilibre précaire et machiavélique.

 » Tous ces clandestins qui passent la frontière -entre un demi-million et un million chaque année- constituent la plus grande migration du monde de nos jours« , rappelle Le Professeur, personnage inquiétant dont le parcours en zigzag illustre la météo changeante des valeurs dans ce petit coin d’enfer. Ex-flic de choc des services américains de lutte contre le trafic de drogue, il a retourné sa veste après avoir été trahi par ses chefs et est devenu l’homme de main du boss d’un cartel de l’autre côté de la frontière… Jonglant avec les identités, il fait dans le sur-mesure: collecte d’informations, élimination physique… Dans son sillage, on comprend vite que cet univers asymétrique -les riches d’un côté, les pauvres de l’autre- brouille les cartes éthiques et que la morale n’est pas toujours dans le camp que l’on croit. La corruption et les jeux de pouvoir gangrènent le paysage.

Au centre (de gravité) de cette saga se trouve une famille, les Erskine, dont le sort funeste est lié à cette ligne de démarcation depuis 3 générations. C’est ce que va découvrir Gil Castle, trader ayant fui l’agitation new-yorkaise pour revenir sur les terres familiales et tenter de faire le deuil de sa femme, victime des attentats du 11 septembre, en venant en aide à un clandestin rescapé d’un deal qui a mal tourné. On n’échappe pas au chaos du monde ni à son passé. Surtout dans ce nouveau Far West à la rancune tenace.

Ses ramifications et l’ingéniosité de son dispositif font penser au Babel d’Inarritu, sa densité et sa peinture de la folie au No country for old men de Cormac McCarthy. Mais en ajoutant au tableau une trame politique révélant les enjeux cachés et cyniques de cette guerre démographique, Caputo fait surtout entendre sa propre voix, originale, ample et crépusculaire. A boire jusqu’à la lie.

LAURENT RAPHAËL

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