« Margaret Keane est tellement discrète qu’on finit par se faire des idées. » C’est Amy Adams, son interprète à l’écran, qui parle. Et, en effet, le verrou du mystère qui entoure l’auteure des tableaux aux yeux grands comme des lacs desséchés semble ne devoir jamais tout à fait céder. Née Peggy Doris Hawkins (elle changera plusieurs fois de nom au fil des ans: Peggy Ulbrich, MDH Keane, Margaret McGuire…) à Nashville, Tennessee, en 1927, la peintre, maladivement timide et solitaire, n’était sans doute pas taillée pour le succès, qu’elle faillit bien, d’ailleurs, ne connaître que par une forme pour le moins tordue de procuration.

Quand, à la fin des années 50, elle s’installe à Frisco afin de fuir le joug d’un premier mari despotique, c’est en effet pour mieux retomber sous l’emprise d’un autre homme à l’ego écrasant, Walter Keane, baratineur de première qui la révèle d’abord à elle-même, l’épouse puis s’attribue publiquement le crédit de son travail. Avec l’étrange consentement tacite de Margaret, proie facile pour le chat qui peint de manière quasi industrielle, recluse à la maison, tandis que son époux parade en société, triomphant. Les plus grandes stars -Joan Crawford, Jerry Lewis, Kim Novak, Natalie Wood- en sont fans, et l’usurpateur a l’Amérique profonde et les médias mainstream du début des sixties littéralement à ses pieds. Ce dont Tim Burton se rappelle d’ailleurs parfaitement: « Je me souviens qu’enfant, je voyais des reproductions des tableaux signés Keane partout. Chez le dentiste, chez le docteur, dans les épiceries… Avec leurs grands yeux, ils étaient des espèces de « Big Brother is watching you« . »

Après l’implosion du couple, en 1964, le mensonge perdure. Margaret quitte San Francisco afin de s’installer à Hawaii, et obtient le divorce. Elle se remarie au début des années 70, moment qu’elle choisit pour enfin révéler au monde l’improbable supercherie orchestrée par Walter, son besoin désormais irrépressible de dire la vérité, toute la vérité, la poussant même à devenir témoin de Jéhovah. Ses toiles adoptent alors un style plus lumineux, mais ce n’est qu’au mitan des années 80 que la cour l’autorise à nouveau à signer ses oeuvres de son nom. Suite à un invraisemblable procès en cour fédérale où le juge, ne parvenant pas à déterminer lequel des deux dit vrai, met Margaret et Walter au défi de peindre un tableau en plein tribunal: elle s’exécute, tandis qu’il prétexte une épaule endolorie, excuse calamiteuse qui précipite son déshonneur -éternel Jekyll & Hyde, Walter meurt en 2000, aigri et sans le sou, n’ayant jamais cessé de clamer qu’il était l’auteur des toiles aux larges mirettes.

A 87 ans, Margaret Keane, revenue en Californie et à la tête de sa propre galerie, continue aujourd’hui encore à peindre tous les jours, délivrant des tableaux remplis, selon ses mots, de « larmes de joie« . Elle fait d’ailleurs une brève apparition aux côtés d’Amy Adams dans le générique de fin de Big Eyes. Un caméo qu’elle se plie à commenter, tout en humilité bigote, dans le dossier de presse du film: « Je devais être cette vieille dame assise sur un banc, profitant du moment. C’était très touchant. Tim est venu vers moi et m’a tendu une petite Bible, alors j’ai songé: « Comme cet homme est charmant. Il sait à quel point la Bible est importante pour moi. Il a pensé à m’en procurer une pour que je puisse la lire pendant que je patiente. » C’est un jour que je n’oublierai jamais. »

N.C.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content