Le site camerawar.tv propose de regarder le monde avec des yeux et un esprit libres. Remuant.

DE PHILIPPE CORNET

Le premier film, de dix minutes environ, commence par un montage de porteurs de marques dans la rue: Macy’s, Gap, Nike. On est en Amérique, on reconnaît New York, l’odeur visuelle de ses rues maniaques, sa fièvre automobile, son béton monumental. Une voix off nous interpelle:  » Quelle est la matérialité de notre réalité? (…) D’un côté, nous sommes sphériques, de l’autre numériques. » L’annonce et l’allure donnent à penser que nous sommes sur l’une de ces vidéos arty qui gratouillent le ciel pour en faire tomber des anges de la mode. Pas vraiment. Ce film, comme une quarantaine d’autres, visibles sur www.camera.tv, traque le réel, le nôtre, mais avec des moyens, une réflexion, une esthétique, que la télévision classique ignore généralement. Sujet du jour: Wall Street et le système économique mondial qui découvre ses colossaux pieds d’argile. Cette narration libre évite le piège béant de la tv actuelle: tout expliquer en noyant les images de textes. Illustrer sans laisser vivre l’image par elle-même. Loin du digital rachitique d’une bonne partie des vidéos jetées sur YouTube ou Dailymotion, ce site impose une autre manière de regarder le réel. Il est approvisionné à raison d’un court métrage hebdomadaire, par Lech Kowalski, Polonais né à Londres, devenu semi-fameux en 1980 avec son film D.O.A. sur l’ultime tournée des Sex Pistols en Amérique. Depuis fin septembre 2008, Kowalski et ses comparses font vivre une autre télévision, sans entraves.

Réalité augmentée

Financée par les très officiels organismes français que sont le CNC (Centre National de la Cinématographie) et le CNAP (Centre National des Arts Plastiques), la petite entreprise ne connaît pas la crise ou plutôt en scrute les contours les plus saillants. Ou alors s’en échappe avec des virées poético-numériques. Belle journée pour une émeute part à la rencontre des néo-nazis américains et en six minutes, montre combien la parole de la haine ordinaire, exhibant fièrement sa croix gammée non illégale en Amérique, est toujours le même vecteur de la bêtise ordinaire. Parfois, le film, qui dure entre 1 et 30 minutes, rappelle que le site est antimondialiste, voire anar, dans l’âme ( Fuck Museums sur un graffeur en pleine action). Qu’il nous laisse relire indépendamment la  » réalité » des cinq minutes de Kiss où Gene Simmons parle de la guerre en Irak à la télévision US. Liberté de regard, disions-nous. Dans Fuck Fashion, la caméra nous montre un groupe punk en pleine action, mais la bande-son double la musique originale par une autre, plus corrosive, plus électronique. Le petit public regarde la scène d’un air dubitatif mais le plan qu’on retient est celui d’une mère qui essaie de faire danser son môme de trois ans sur le bruit proposé. Alors que le gamin n’a qu’une envie: se tirer de là! C’est un peu la morale de ce site de salubrité intellectuelle publique: il propose des images, des sons directs ou non, mais c’est toujours vous qui en disposez! l

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