Chronique d’un salaud

© MAURICE HAAS / DIOGENES VERLAG AG ZURICH

Pour la première fois traduit en français, l’Allemand Chris Kraus nous plonge dans la complexité du XXe siècle. Parcours d’un nazi devenu agent de la CIA.

Au vu de l’ampleur de son sujet, le nouveau roman de l’auteur et cinéaste allemand Chris Kraus (à ne pas confondre avec son éponyme américaine) est difficilement résumable, tel que pourrait l’être le roman du XXe siècle d’une Europe barbare. Nous baladant du nord-est du continent à ses frontières méridionales, il débute à Riga au sein de la petite communauté germanique de la ville balte, bientôt envahie par les nouveaux maîtres de Moscou, et en passe de devenir le théâtre de chasses aux sorcières dont seront la cible tous ceux qui n’adhèrent pas aux nouveaux courants révolutionnaires. Il se poursuit dans l’Allemagne nazie où, velléités de conquêtes mondiales obligent, on fait table rase de tout le reste. La fin du conflit emmène le lecteur dans une incursion en URSS, en RFA et enfin plus bas, vers ce nouveau pays, Israël, terre promise pour les survivants des anciennes persécutions. La Fabrique des salauds pourrait également être le roman d’un homme né dans une famille bourgeoise par la mère et d’artistes par le père, traumatisé par le meurtre du grand-père pasteur retrouvé noyé dans le lac du village par les bolcheviks. Konstantin, frère cadet d’Hubert (Koja et Hub pour les intimes), va traverser le siècle dans les remous apocalyptiques de l’Histoire, entraîné par son frère et par l’amour des femmes. Sous le régime nazi, on lui offre un poste chez les SS, plus particulièrement au sein d’une cellule des services secrets ayant pour mission d’assassiner Staline. Après la guerre, il passe au service de la CIA en Allemagne de l’Ouest, rejoint par ses anciens collègues ayant eux aussi réussi à passer entre les mailles de la dénazification. La liste de ses activités gouvernementales officieuses s’allonge jusque dans les années 70 mais ne sera pas révélée ici afin de ménager la surprise. C’est également l’histoire d’un homme tombé fou amoureux de sa soeur adoptive, elle-même mariée à son frère aîné, qui va noyer son chagrin dans les bras de danseuses américaines ou d’espionnes russes. C’est enfin le roman-fleuve d’une gigantesque trahison, des atrocités qui en découlent et d’une impossible rédemption. Un récit raconté par Koja en fin de vie à un hippie d’abord amusé, puis atterré et enfin horrifié par ce qu’il entend.

Chronique d'un salaud

La logique du pire

À la suite de révélations sur le passé sombre d’un des ses oncles, Chris Kraus s’interroge sur ses compatriotes devenus bourreaux. Tout l’art de l’auteur est de mêler dans le chef du lecteur des sentiments contradictoires vis-à-vis d’un protagoniste lâche et abject qui, tout au long de son parcours, ne s’est jamais vraiment posé la question du bien ou du mal. Dans un style presque truculent à la Alfred Döblin, l’auteur nous entraîne dans une intrigue où les situations abracadabrantes se disputent aux faits et personnages bien réels. À coups de métaphores, Kraus réussit là une prouesse, nous offrant un roman riche et foisonnant, parfois même drôle si les événements qu’il brasse n’étaient aussi glaçants.

La Fabrique des salauds

De Chris Kraus, éditions Belfond, traduit de l’allemand par Rose Labourie, 880 pages.

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