Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Jesus-Chris Superstar – Héritier vocal de Roy Orbison et des sixties, Chris Isaak est de retour avec un nouvel album splendidement anachronique.

« Mr. Lucky »

Distribué par Warner

A partir de quel moment un style démodédevient-il intemporel? Quand un genre rentre-t-il dans le giron de la maison mère rock au rayon classique? Les questions déboulent naturellement à l’écoute du premier album de matériel original du Californien en sept années. Pour ceux qui ont raté les épisodes précédents, rappelons que le beau Chris (1956) connaît une première flambée de gloire en 1989. Son troisième album ( Heart Shaped World) produit alors Wicked Game, titre tube qui installe la formule isaakienne sur la scène internationale: voix réverbérée dans une infinité de couloirs soniques, mélodies en c£ur d’artichaut et régénérescence d’une forme d’ innocence typique du rock’n’roll sixties. Le single en question est repris en instrumental dans le David Lynch de l’époque ( Sailor et Lula) et fait rougir MTV via un clip archi eighties tourné par Herb Ritts castant le top-model Helena Christensen. On aurait pu en rester là, mais l’animal Isaak devient une star durable – en France surtout – plaçant régulièrement ses morceaux filandreux au cinéma. Lui-même traverse quelques celluloïds et joue finalement son propre rôle romancé dans le Chris Isaak Show sur le câble américain entre 2001 et 2004.

Chris chiale

Dire en 2009 qu’Isaak est attendu relèverait davantage de l’escroquerie médiatique que de la réalité du marché. A contre-courant de 99 % de la production actuelle, débarque donc ce Mr Lucky, gavé de quatorze chansons et d’une sauvage tonicité affichée par le surfeur/boxeur apparemment insensible à la combustion du temps. L’entrée en matière est réussie: Cheater’s Town est une semi-ballade où la voix suppliciée par une mélodie trop belle ne parvient pas à faire oublier le dés-espoir de la sentence,  » I’m riding round this cheater’s town/Every Place I Go/Just Bring Me Down ». Le ton de l’album est donné: si le mélodrame est dans la place, le rock doit se charger de le convoyer jusqu’aux portes de la rédemption. Ce qui est beau, ce n’est pas seulement la qualité des envolées mélodiques (sublime You Don’t Cry Like I Do) mais aussi cette voix vespérale incroyablement rêveuse, qui semble se déchirer à chaque refrain, en proie à des vicissitudes à mille kilomètres du chant pop actuel. Chris Isaak chiale autant qu’il ne chante et ce qui passerait normalement pour un insupportable truc de sissy pleureuse partout ailleurs, s’affirme ici comme une splendeur exacerbée de notre spleen commun. Un autre qu’Isaak traquant des vérités aussi basiques que l’amour égrené à la manière d’ un fruit forcément trop mûr, se ridiculiserait gravement, mais l’océan de chagrin et de déception isaakien construit une grandiose matière à surfer. Chris flirte avec le rock aussi à quelques reprises ( Mr Lonely Man, Best I Ever Had), s’offre deux duos OK avec Trisha Yearwood et Michelle Branch, mais il n’est jamais meilleur qu’en garçon de la place, seul face à la noirceur de la mer.

www.chrisisaak.com

Philippe Cornet

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