Cela commence à bouger dans le cinéma flamand, avec en point d’orgue un épatant La Merditude des choses qui secoue les clichés avec un plaisir communicatif.
Affreux, sales, mais pas vraiment méchants. Les antihéros du film de Felix van Groeningen n’en font pas moins penser un peu à ceux de la comédie sociale décapante autrefois signée par l’Italien Ettore Scola. La Merditude des choses est l’adaptation d’un roman à succès de Dimitri Verhulst, De Helaasheid der dingen. Il nous plonge, sur le fil des souvenirs d’enfance plus ou moins autobiographiques de l’écrivain, dans une Flandre profonde où vit la famille Strobbe. Autour d’une vieille et digne maman y vivent quatre fils adultes par l’âge sinon par la mentalité. L’un d’entre eux est facteur à vélo, les autres chômeurs sans doute professionnels, et tous affichent une dégaine de loubard, sont buveurs, fêtards et bagarreurs. Mais ils ont à coup sûr un bon fond, et affichent une solidarité familiale à toute épreuve. On ne touche pas à un Strobbe, qu’on se le dise! C’est sur ce terreau un peu particulier que pousse Gunther, un gamin débrouillard, très mal vu à l’école mais que titille progressivement l’envie de devenir romancier. Notamment pour raconter cette famille, ses mésaventures avec les huissiers, ses conflits internes et ses drames mais aussi ses moments de triomphe (le cadet des frères bat un record du monde de descente de bières…) et ses petits bonheurs fugaces.
Troisième long métrage de Felix van Groeningen après Steve + Sky en 2004 et Dagen zonder lief en 2007, La Merditude des choses a eu les honneurs d’une sélection au dernier Festival de Cannes, dans le cadre prestigieux de la Quinzaine des Réalisateurs. Les interprètes du film s’y sont illustrés comiquement, en sillonnant la Croisette à vélo et dans le plus simple appareil, une course de cyclistes nus étant un des moments marquants de la vie sociale dans le village où habite la famille Strobbe. Par-delà cette autopromotion (dé)culottée, la présence cannoise de La Merditude des choses a suscité des réactions enthousiastes de la part d’un public conquis et de nombreux critiques internationaux, pour lesquels la comédie « trash » de van Groeningen restera comme une des révélations du Festival 2009. Le Monde évoqua l’esprit de Jacques Brel, Variety célébrant » une méditation douce-amère » par-delà l’humour emprunt d’une vulgarité parfaitement assumée.
Success story
Il est intéressant de noter qu’un autre film flamand, Lost Persons Area de Caroline Strubbe, était aussi retenu à Cannes, à la très pointue Semaine de la Critique, où il remporta haut la main le Prix de la SACD. Et encore plus de signaler que le très influent et tout juste achevé Festival de Toronto a sélectionné tout à la fois La Merditude des choses et My Queen Karo de Dorothée Vandenberghe, qui plus est dans la section Avant-garde présentant les révélations du jeune cinéma. Ce sont ainsi 3 films flamands qui se retrouvent fêtés dans des festivals majeurs! Chose inhabituelle pour le cinéma du nord du pays, coutumier de succès commerciaux marquants mais jusqu’ici presque totalement absent des grands rendez-vous internationaux. Cette reconnaissance arrive à point pour signaler l’émergence, à côté de productions grand public jouant la carte des genres populaires, de réalisateurs aux ambitions artistiques affirmées.
Felix van Groeningen, né en 1978, et ses aînées de quelques années Dorothée Vandenberghe et Caroline Strubbe, s’inscrivent en tête d’une nouvelle vague prête à relever le défi du cinéma d’auteur dans un paysage audiovisuel flamand où l’on parlait jusqu’il y a peu surtout de marché mais peu de création. On remarquera que leurs 3 films, très différents dans la forme, ont en commun une ferveur émue pour l’humain saisi bien au-delà des représentations sociales. Deux d’entre eux, La Merditude des choses et My Queen Karo, partageant aussi un esprit libertaire, épicurien, cultivé au passé de films remontant le temps mais n’en parlant pas moins au plus fort du présent.
De Helaasheid der dingen (La Merditude des choses)
De Felix van Groeningen. Avec Valentijn Dhaenens, Kenneth Vanbaeden, Koen De Grave. 1 h 48. Sortie: 07/10.
Texte Louis Danvers
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