Sharko publie son journal de bord, tenu jusqu’ici sur le Net. Entre petits tracas et grands doutes existentiels. Ou quand les musiciens lèvent un coin du voile…

C’est un petit ouvrage, pas grand-chose. Quelque 140 pages à peine, mais qui résument pas moins de 6 ans d’une vie artistique. Celle de David Bartholomé, tête pensante de Sharko. Et délirante aussi… Suffit de lire le sous-titre: « ou comment en voulant grimper, j’ai construit une échelle en abattant un arbre au lieu de monter à l’arbre. «  Fulgurant? Vous n’avez pas lu celle-ci, page 29: « Tu peux toujours essayer de gonfler une crevette grise à la pompe à vélo, t’obtiendras jamais un requin-marteau. »

Paru il y a quelques semaines, le journal de Sharko est en fait la version papier du blog tenu depuis 2003. Y alternent aphorismes « montypythonesques » et vraies tranches de vie, anecdotes à froid et petites infos microquotidiennes distillées avec force cynisme et autodérision. La vie de « rock star belch' » par l’autre bout de la lorgnette, pas forcément toujours délirante. « C’est un reproche que l’on m’a souvent fait, explique d’ailleurs David Bartholomé. Christophe de Bang! me disait souvent: « ce journal va te tuer, tu fous en l’air tout le glamour. C’est déjà difficile de vendre le projet… Et toi, tu parles d’hemorroïdes… » Mais moi, j’avais l’impression que, sur la globalité, se dégageait un tissu humain qui pouvait être intéressant. Et puis les gens n’étaient pas obligés de lire non plus… « 

C’est l’effet Internet. Lancé sur la Toile, le carnet de bord de Sharko a profité de tous les avantages du médium: souplesse, légèreté, immédiateté… « Ecrire sur le Net reste tout à fait subjectif. Quand il s’agit de le coucher sur le papier par contre, cela prend une autre résonance. Je ne pense pas, par exemple, que j’aurais pu directement me lancer dans l’écrit: j’aurais été figé, peut-être tétanisé. Ici, il est question d’une pratique sur 6 ou 7 ans, où j’écris quand je veux, ce que je veux, sans aucune ligne éditoriale. La consommation n’est pas la même non plus: entre votre mail, Twitter, un coup d’£il sur les actualités, vous lisez ce journal, très vite, en passant sur la syntaxe, la grammaire, la façon de structurer… Sur papier par contre, l’indulgence disparaît. J’ai forcément dû réécrire des choses. »

Blog à vélo

Sharko n’est pas le seul qu’Internet a débloqué. Les artistes ont investi en masse la Toile. Avec plus ou moins de bonheur. « C’est un peu ce qui m’a motivé. J’avais beau lire des blogs de musiciens, aucun n’arrivait à me parler. Ce qui m’intéresse, ce sont les stratégies mises en place, les coulisses… Mais la plupart du temps, on en restait à des platitudes. » C’est que les motivations de ces « journaux intimes » peuvent fort varier de l’un à l’autre. On a en effet plus souvent à faire à des outils promotionnels ou de simples lieux d’échange avec les fans qu’à de véritables mises à nu de l’artiste. Parfois, il peut aussi servir de plate-forme de réflexion sur son travail ou pas. C’est l’exemple du journal que tient David Byrne. On peut y trouver aussi bien des réflexions sur l’état de l’industrie musicale que le compte rendu de sa dernière balade à vélo (il vient d’ailleurs de publier sur papier ses chroniques vélocipédiques, intitulées Bicycle Diaries). D’autres, comme Kanye West ou, dans un tout autre genre, Dominique A, s’en servent d’abord et avant tout pour évoquer leurs coups de c£ur – musicaux, littéraires, cinéma… Une question tout de même: ses « sorties » sur le Net nourrissent-elles la création? Sharko: « Je sais pas… Certaines choses ont pu m’aider, mais pas spécialement pour les disques ou la musique… Cela a agi sur des notions plus subjectives. Comme le courage ou la confiance en soi, la vaillance, le panache… « 

En toute fin de carnet, Sharko reprend la note diffusée le 17 juillet dernier:  » Cher journal, tu es de la génération 1.0. Tu n’es pas vieux, mais tu pues déjà le vieux cul. Quand je vois Twitter (ou Facebook) et la prolifération d’infos superficielles (…), j’hallucine. J’ai pris conscience du vertige. (…) je me rends compte que tu es de la Préhistoire. » De fait, l’autobiographie tient aujourd’hui en une série de saillies de 140 caractères max. C’est Elizabeth Taylor qui annonce son opération du c£ur sur Twitter; ouRihanna qui y balance, elle, la date de sortie de son prochain album.

Carnets toujours « intimes »? La transparence a malgré tout ses limites. Récemment, Mike Myers et Cameron Diaz se seraient fait rappeler à l’ordre par la production du prochain Shrek, qui craignait qu’ils ne révèlent des détails du film sur Twitter. Faux, répondent les acteurs. En attendant, l’hypothèse n’est peut-être pas si folle que ça…

Sharko Journal 2003-2009, de David Bartholomé, Éditions Bandy Bandy, 144 pages.

Texte Laurent Hoebrechts

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