Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

AUTOUR DE LA THÉMATIQUE DU DÉSORDRE, UNE EXPO QUI DRESSE LE BILAN DU MONDE AINSI QUE CELUI DE LA PHOTO CONTEMPORAINE.

Disorder

CAB, 32-34, RUE BORRENS, À 1050 BRUXELLES. JUSQU’AU 26/03.

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On ne cachera pas que, sur papier, le Prix Pictet inspire la méfiance. Comment pourrait-il en être autrement lorsque l’on sait que le grand promoteur de cette initiative n’est autre que le Groupe Pictet, société suisse spécialisée dans la gestion de fortune? Participer tout à la fois au grand dérèglement du monde par le biais d’une « optimisation fiscale agressive » et par ailleurs « sensibiliser un public international aux enjeux du développement durable, en particulier, à ceux qui ont trait à l’environnement« , voilà exactement le genre de double discours dont notre époque est friande. Si personne ne semble s’en soucier, c’est peut-être en raison de l’incroyable talent que possède la Suisse au lavage, qu’il soit d’argent sale ou de cerveau. Dans le même ordre d’idée, on pointera le fonctionnement de la récompense lui-même, dont les rouages sont généreusement arrosés à l’huile néolibérale. De fait, les 100 000 francs suisses du prix sont attribués à un artiste élu parmi les candidatures de plus de 700 photographes suggérés par 260 « nominateurs » que compte le réseau mondial du projet. Au bout de cet entonnoir: douze finalistes, parmi lesquels un gagnant -en l’occurrence la Française Valérie Belin-, censés constituer le gratin photographique actuel, et dont une exposition au Contemporary Art Brussels présente aujourd’hui un condensé. Ceci dit en guise de préambule pour éviter l’éventuelle position du candide de service qui irait voir Disorder en famille de la même façon qu’il aura été se racheter une bonne conscience écologique en mangeant du pop-corn devant Demain...

Large spectre

Il reste que la découverte de Disorder dans le cadre industriel rénové du CAB vaut le détour en ce qu’elle brasse un lot significatif d’images à la manière d’un instantané du monde. Le spectre balayé s’étend du photojournalisme le plus limpide -les reportages sur les espaces naturels africains d’un Brent Stirton- aux reconstructions savantes d’une Sophie Ristelhueber qui panachent les espaces et les temporalités. Entre ces deux pôles, un nuancier subtil de regards qui tentent d’approcher au plus près du chaos, de la faillite, de tous les Charybde et Scylla qui guettent l’existence.

Si l’on visite l’exposition dans le sens des aiguilles d’une montre, c’est le Sud-Africain Pieter Hugo qui est le premier à marquer la rétine. Son reportage sur les décharges du Ghana laisse sans voix. Paysages de fin de monde et couleurs d’apocalypse, l’oeil est face à des territoires inimaginables peuplés de silhouettes fantomatiques: à savoir les millions de tonnes de déchets électroniques déversés par l’Occident en Afrique. Mais on pense également à l’internationale de la vulnérabilité face à la montée des eaux que donne à voir un Gideon Mendel, à travers tous les continents. Ou encore aux cartographies temporelles de l’Israélienne Ilit Azoulay, qui rapportent une transition architecturale emblématique du monde contemporain -soit la conversion, à Zikhron Ya’akov en Israël, d’une maison de convalescence en un hôtel de luxe. Le tout pour un récit en forme de devoir de mémoire.

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MICHEL VERLINDEN

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