Sa performance extrême dans Antichrist, le film de Lars Von Trier, a valu à Charlotte Gainsbourg le prix d’interprétation au dernier festival de Cannes. Quelques jours plus tôt, elle évoquait pour Focus une expérience unique…

Depuis que Claude Miller la révéla en adolescente farouche dans L’Effrontée, en 1985, avant de récidiver, d’ailleurs, 3 ans plus tard dans La Petite voleuse, Charlotte Gainsbourg a dessiné un parcours où les pistes s’entremêlent joliment. Là où d’autres auraient pu se laisser écraser par leur pedigree (elle est la fille de Jane Birkin et Serge Gainsbourg, pour qui elle tourna à la même époque Charlotte for ever), la comédienne a su tracer une voie éminemment personnelle. Celle qui, au terme d’une décennie 90 toute de discrétion – avec néanmoins des rôles chez Blier (Merci la vie), Doillon (Amoureuse) ou Rochant (Anna Oz) -, la conduirait chez Danièle Thompson pour La Bûche. Soit un succès populaire et le prélude savoureux à un nouveau siècle qui la verrait s’imposer sous des latitudes diverses.

C’est peu dire, en effet, qu’en 10 ans, le talent de Charlotte Gainsbourg s’est largement épanoui, embrassant avec un égal bonheur des registres variés, et des univers aussi différents que ceux, parmi d’autres, de Patrice Leconte ( Félix et Lola), Alejandro Gonzalez Inarritu ( 21 Grams), Michel Gondry ( La Science des rêves) ou encore Todd Haynes ( I’m not There). Sans oublier, naturellement, Ivan Attal, – qui, sinon son mari pour lui proposer Ma femme est une actrice et Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants?

A ceux-là, il convient d’ajouter aujourd’hui Lars Von Trier pour qui l’actrice a signé, dans Antichrist, une composition impressionnante, dans le rôle d’une femme que la perte de son enfant amène à d’affolantes extrémités – performance qui lui a valu le prix d’interprétation au dernier festival de Cannes. Quelques jours plus tôt, on la retrouvait au Cap d’Antibes, à l’abri de la furia cannoise, pour évoquer cette expérience unique, la folie l’habitant à l’écran ayant cédé la place à une intense douceur…

Non, vraiment pas. J’ai lu le scénario d’ Antichrist avant de savoir que Lars me choisirait, et l’histoire m’attirait beaucoup, de même que l’aspect horrifique. J’étais fascinée à l’idée de le rencontrer, mais n’étais plus aussi sûre au sortir de cet entretien, je pensais qu’il n’était pas intéressé. Son coup de fil pour me demander ensuite de jouer le rôle m’a vraiment surprise. A ce stade, je n’avais pas le moindre doute; ce n’est que progressivement que l’angoisse a commencé à m’étreindre, surtout face à la perspective des crises de panique. C’était très précis, très physique, et je n’avais pas la moindre idée de la façon d’exprimer cela, ni à quel point mon interprétation pourrait être exacte. Lars m’a beaucoup aidée pour cet aspect des choses: il m’a montré des films, et m’a expliqué ce que lui-même traversait. Il a été très généreux.

Qu’est-ce qui vous attirait particulièrement dans cette histoire?

L’extrême, je pense. L’extrême de la perte, la folie, la souffrance, la violence. Je savais, à la lecture, que ce serait très dur. C’est très dur, pour un acteur, d’être en mesure de vivre cela.

Votre performance dégage une puissance exceptionnelle. Comment s’est-elle libérée?

Grâce à Lars. Je n’avais jamais expérimenté une telle façon de travailler, et j’ai été suffisamment ouverte pour pouvoir souscrire à sa méthode d’exploration. Je n’ai pas pensé à mes limites ou à tenter de les dépasser, mais j’ai essayé d’être complètement libre et ouverte, de ne pas me juger. Et, bien sûr, d’aller au-delà de ma timidité, même si, comme beaucoup de personnes timides, je pense être très violente à l’intérieur. J’ai eu une attitude fort masochiste pendant le tournage, parce que tout y était mélangé: cette expérience s’est révélée être du plaisir et de la souffrance en même temps, de l’euphorie et de l’hystérie.

Y a-t-il une différence pour vous au fait d’être dirigée par un homme ou par une femme?

Non, je n’ai jamais travaillé qu’une fois avec une réalisatrice. Je ne pense pas que le scénario d’ Antichrist aurait pu être écrit par une femme. En même temps, j’étais fort attirée par sa vision des femmes, la brutalité, la culpabilité. Je trouve sa vision fascinante, mais c’est la sienne, et non la mienne. Je l’ai totalement embrassée et, le temps du tournage, j’ai vraiment eu le sentiment que Lars était le personnage. Bien sûr, il s’agit d’un duel entre un homme et une femme. Mais Lars était si proche de mes émotions et du personnage, tellement vulnérable. J’avais l’impression qu’il était Elle.

On peut voir dans Antichrist une charge contre les femmes, une description du mal féminin. Quelle est votre sentiment à l’égard de cette interprétation?

Pourquoi pas, en effet. Mais je ne le lui reproche pas, je trouve cela intéressant. Je pense qu’il place les femmes sur un piédestal, peut-être pour les délaisser ensuite. Je ne me suis jamais sentie attaquée en tant que femme. Je l’ai perçu comme très respectueux de moi, et de ma douleur. Lars est, à mes yeux, un authentique artiste. Cela ne l’autorise pas à dire n’importe quoi, mais je ne suis nullement choquée par ce qu’il dit, sans être sûre du message. Mais je comprends la culpabilité, la douleur, la cruauté, ce qu’il attribue à la nature, et le fait que cette femme soit proche de la nature, sans y voir une accusation.

Les scènes de nu ont-elles été difficiles à tourner?

Oui, mais pas plus que pleurer. Les scènes de souffrance étaient plus douloureuses qu’ôter mes vêtements. Je me sentais davantage exposée à travers mes larmes ou mon abandon que dans les scènes de sexe. L’accès au plateau était extrêmement restreint, les gens étaient respectueux, et Lars m’avait demandé dès le départ si je savais ce par quoi je passerais, avec des scènes explicites. Il m’a aussi dit qu’il ne montrerait jamais quoi que ce soit dont je serais honteuse. J’avais sa confiance, et il avait la mienne.

Avez-vous besoin d’expériences extrêmes?

Je tourne également des petits films délicats. Pour moi, il s’agissait de quelque chose de tout à fait nouveau, je n’avais jamais connu ce genre d’extrêmes. Les extrêmes, pour moi, c’était les différents réalisateurs avec qui j’avais travaillé, avec leurs personnalités fort différentes. C’était cela, aller d’un extrême à l’autre, mais pas vraiment dans mon expérience d’actrice.

Dans quelle mesure cette expérience vous a-t-elle changée comme actrice et comme personne?

En tant que personne, je ne pense pas que cela m’ait changée. En tant qu’actrice, je ne sais pas si cela m’a changée, mais cela a modifié ma perspective sur d’autres expériences que j’espère vivre. Le fait d’avoir travaillé avec un tel metteur en scène vous rend très exigeante.

Retravailleriez-vous avec Lars Von Trier?

J’aimerais beaucoup, tout en ayant très peur tant, pour moi, ce fut une expérience magique. Je sais que, le concernant, cela a été une période difficile, il a beaucoup souffert. Mais pour moi, ce fut très spécial, et j’aurais peur que cela ne le soit plus autant.

Rencontre Jean-François Pluijgers, à Cannes.

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