POUR SON 7E ALBUM SOLO, BIOPHILIA, BJÖRK A CONÇU UNE FABLE TECHNO-ÉCOLO INTERACTIVE. GRANDE PREMIÈRE: L’ALBUM ENTIER EST DÉCLINÉ SOUS LA FORME D’APPLICATIONS POUR IPAD.

Excentrique? Une chose est sûre: Björk Gupmundsdóttir ne fait jamais rien comme les autres. Cela faisait 4 ans, depuis Volta, que l’on n’avait plus de nouvelles de l’Islandaise. La voilà qui revient avec son nouveau projet, audacieux. Programmé ce 27/09, l’album intitulé Biophilia sortira finalement autour du 10/10. Un retard expliqué par l’ampleur de la tâche. Pour son nouveau disque, Björk a en effet mis le paquet en concevant une véritable expérience multimédia. L’idée: chacun des 10 titres de Biophilia sera accompagné d’une application, sorte de mini-logiciel, pour iPhone ou tablette iPad.

Qu’un artiste crée une application en lien avec sa musique n’est pas neuf. Brian Eno -qui d’autre?- a été l’un des premiers à s’agiter. Avec Bloom, imaginé au départ pour l’iPhone, en 2008, il a mis au point un petit outil de composition visuel et intuitif: il suffit de tapoter sur l’écran pour créer une série de sons, le téléphone devenant un instrument à part entière. L’ex-Kraftwerk, Karl Bartos, a également développé son appli, en collaboration notamment avec le Belge Jean-Marc Lederman. A vrai dire, à peu près chaque artiste ou sortie d’album importante est aujourd’hui décliné sous la forme d’un mini-software, histoire d’occuper aussi le nouvel espace numérique créé par les smartphones et autres tablettes.

Qui perd gagne

Björk a cependant poussé les choses plus loin, en concevant un album entier autour de ces applications. Une démarche cohérente: avec Biophilia -référence au best-seller Musicophilia du fameux neurologiste Oliver Sacks, étudiant les relations entre musique et cerveau- la chanteuse a voulu créer une fable techno-écolo, entre l’infiniment petit ( Virus) et le cosmos ( Dark Matters). Une sorte de nouvelle alliance dans laquelle le progrès technique et la nature ne seraient plus forcément opposés. Fumeux? Björk n’a en tout cas jamais tenu un autre discours, toujours à l’aise quand il s’agit d’incarner son pays, l’Islande: une terre à la fois sauvage (les geysers, les paysages volcaniques…) et technologiquement hyper développée (93,5 % de la population connectés à l’Internet en 2009). Pour concevoir la partie interactive, Björk a notamment fait appel à l’artiste américain multimédia Scott Snibbe. Pour le titre Virus, par exemple, il a conçu un mini-jeu dans lequel un virus attaque une série de cellules. Le but est d’enrayer la progression du virus. Ce faisant, le joueur empêche toutefois la chanson de se dérouler. Autrement dit, le joueur doit perdre pour pouvoir écouter le morceau de Björk… « C’est lié au message de la chanson, dans laquelle le virus aime tellement la cellule qu’il finit par la tuer », expliquait récemment Snibbe au magazine australien The Vibe.

Immersion

Biophilia est officiellement le 1er album entièrement conçu comme une grande application, directement en collaboration avec la firme Apple. La nouvelle a pu faire grincer quelques dents: voir l’ex-punk Björk se lier à ce point à une marque, aussi « cool » soit-elle, peut poser question. D’autant plus que les applis seront exclusivement disponibles sur les produits à la pomme, au détriment des utilisateurs des systèmes alternatifs comme Android. Un peu mal prise, Björk s’est empressée d’encourager le piratage du projet. Dans Télérama, elle explique encore avoir bénéficié d’un soutien technique mais assure ne pas avoir reçu d’argent de la firme de Cupertino, trop contente certainement du coup de pub. « J’ai conscience qu’une telle association est potentiellement dangereuse, mais je crois qu’être punk aujourd’hui c’est ne pas rester dans son coin à dire non à tout. Les gens râlent contre le piratage, trouvons des solutions. « 

Et cette solution, c’est, en partie, de créer encore et toujours de la plus-value. Par exemple avec des applications pour tablettes numériques. Scott Snibbe ne dit pas autre chose: « La plupart des artistes sont intéressés par le côté performance, le décor, les visuels… Or les applications sont une manière pour le musicien de contrôler et libérer ces aspects-là. «  Et d’enchaîner: « Je pense aussi que l’économie de l’industrie musicale est un facteur important. Les ventes de musique enregistrée se sont effondrées, dès lors les applis sont une manière de générer des revenus à partir du moment où elles deviennent assez populaires.  »

Aussi moderne et avant-gardiste que puisse paraître la démarche de Björk, elle n’en reste ainsi pas moins nostalgique d’un vieux schéma: celui de l’album. Cela ne met pas en cause l’audace de la démarche (artistique mais aussi financière, les concepteurs des applications ayant travaillé gratuitement seront rétribués à la sortie sur la moitié des profits).En attendant, le but est bien de créer le bonus qui amènera l’auditeur à ne pas se contenter de télécharger gratuitement la musique, morceau par morceau, mais de lui redonner du temps et de l’importance. Exactement comme au siècle dernier, quand l’amateur passait des heures à décrypter une pochette, pendant que l’aiguille filait sur le vinyle. Scott Snibbe: « A l’époque des 33 tours, vous viviez cette expérience d’immersion dans la musique, et c’est ce que les applications ravivent. Elles vous demandent de vous engager complètement si vous voulez en retirer quelque chose. En cela, je pense que vous aurez une expérience émotionnelle plus profonde, peu importe de qui vient la musique. »

BIOPHILIA SORTIE LE 10/10, DISTRIBUÉ PAR UNIVERSAL.

TEXTE LAURENT HOEBRECHTS

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