Douze ans après leur séparation, les métalleux belges de Channel Zero s’apprêtent à donner en janvier six concerts archi complets à l’Ancienne Belgique. Douze mille fans en chaleur valent bien le rappel d’une étonnante saga metallica.

« Les trois premières dates ont été vendues en 48 minutes, les autres ont suivi en rafale, c’était en juin dernier. On a été les premiers étonnés d’une telle demande. C’est un record absolu pour l’Ancienne Belgique (1) à laquelle on avait d’ailleurs proposé de s’associer pour coproduire un concert. Ils ont décliné, sans doute parce qu’ils pensaient que ce ne serait pas rentable (sourire)…  » Phil Baheux, 42 ans, batteur aux doigts en barreaux de chaise cubains, paraît encore bluffé par l’ampleur de la demande. A un jet de l’AB, deux jours avant 2010, on le rencontre en compagnie de Franky De Smet-Van Damme, chanteur aux longs cheveux brou noir, 40 ans, et Tino de Martino, bassiste à tête de gentilhomme Renaissance, 39 ans. Manque le guitariste original, Xavier Carion, excusé de la prochaine série pour raison de trouble auditif. D’autant que Channel Zero, c’est du brutal-metal. Du méthane qui flambe une partie des années 90. Une histoire belge – deux Bruxellois, un Flamand et un Wallon… – à une époque où la nationalité n’est guère vendeuse à l’export. Le parcours est à ce point dévorant qu’à la séparation du groupe – fin 1997, après 7 années fiévreuses – ses musiciens s’évanouissent dans des vies éparses, étanches les unes aux autres.  » Channel Zero avait été un investissement lourd« , explique Franky.  » On était tous un peu brûlés par les efforts, les 4 albums studio, les tournées et puis à cette époque, vers 1997, on a senti que le métal, le rock, étaient un peu morts, se faisaient doubler par le hip hop et l’électro. » Franky tente d’autres formations mais vit surtout en vendant du matos son. Phil est dans la fringue, ouvre un Tattoo Parlor. Il y a 7 ans, le bassiste Tino part en Amérique. Marié à une locale, il devient père et refait sa vie du côté de Saint-Louis.  » Je n’avais plus de contact hormis un coup de fil par an avec Xavier le guitariste, d’ailleurs je ne jouais plus qu’occasionnellement, dans des bars, content quand il y avait 20 personnes. » Là, Tino, devenu D.A. dans une boîte de web design, à force d’allers-retours pour préparer le come-back de Channel, a décroché la carte Gold sur American Airlines… Peut-être une métaphore de ce qui les attend.

Nourritures bios

Novembre 1989. On se prend le concert de Sixty-Nine en frontal. Même si le hardcore de ces Bruxellois n’est pas notre kif naturel, l’énergie dégagée fait reculer les murs. On ne sait pas encore que quelques semaines après cette rencontre du troisième type – racontée dans Le Vif de l’époque… – la section rythmique, lassée du trash, s’en va fonder Channel Zero. C’est – déjà – Tino et Phil. Tous deux ont remarqué le talent du roadie/chauffeur de Sixty-Nine dans l’interprétation autoroutière de Slayer: Franky, installé chanteur, emmène son pote Xavier, au poste de guitariste. Le quatuor de base de Channel est soudé(2). Commence la classique période galérienne: signé sur Shark Records, label allemand de Gelsenkirchen, Channel Zero mange de la route sans fin et des premières parties, du bitume graisseux et des nuits sans sommeil  » avec couches de t-shirts du merchandising pour avoir moins froid« . Sarabande de tournées en compagnie de Biohazard, Napalm Death ou M.O.D.,  » peut-être 400 concerts en Allemagne (…) ». Plan de carrière avoué: faire rougir le métal sur des riffs graves et lourds. Mais dans cette décoction de décibels au mercure, la matière n’est pas unilatéralement brute ou théâtrale. De ses fêlures personnelles, Franky, le kid de Zonhoven, tire des nourritures bios:  » Des idées de chansons venaient des news, de la télé, mais avec le temps, je me suis rendu compte que j’écrivais pas mal de textes sur mon père et ma mère, comme Mastermind . Mon père était un alcoolique extrême. Ma mère est morte d’un cancer en 4 mois. Channel Zero m’a aidé à sortir de ma frustration, le groupe a été mon exutoire. » Pas de tête de bouc ou de pentagramme inversé: Channel Zero taille un répertoire sans caricature. Ses connections dépassent d’ailleurs le périmètre du métal: c’est l’une d’entre elles – Richard de Front 242 – qui les emmène en 1994 chez Pias.

Coke en stock

Pas de hasard sur la signature: la réputation de Channel Zero a grandi au Benelux, en Allemagne, gagné des fans anglais, et puis le metal est omniprésent. Metallica triomphe et MTV se repaît de titres tubes comme le Black Hole Sun de Soundgarden. Le résultat de l’alliance entre le label et le groupe belges aboutit au percutant Unsafe, paru en octobre 1994. Enregistré au Studio de Hautregard de Verviers par le belge André Gielen, l’album est mixé par Michael Barbiero, vétéran américain qui a déjà bourlingué sur les disques de Metallica, Guns N’ Roses, Scorpions. Le son est gros et clinquant, assez tendu que pour saisir les peaux de batterie en érection ( Suck My Energy). Le disque recrache le malaise ambiant, ce que Franky nomme  » une sorte d’injustice sociale« , symbolisé dans la pochette d’ Unsafe par la photo d’un camion défoncé par la guerre à Sarajevo. Le succès est là – 60 000 copies vendues – mais, sans aucun doute, Pias et le groupe en espéraient plus. Phil:  » Pias a voulu qu’on enregistre le suivant en Amérique. Sur catalogue, on a choisi – pour ses références – Jason Corsaro et après une rencontre belge, on est parti enregistrer chez lui, dans le Connecticut. » Channel se retrouve alors face à un producteur chargé à la coke dès le matin, qui peine à trouver le juste son et tente, au final, d’imposer un emballage « punk-rock ». Pias, qui a déjà payé une belle avance, ne voit pas d’un bon £il le groupe quitter les sessions. Ce qu’il fait néanmoins, achetant de sa poche les vols de retour. Un conciliabule plus tard, Channel reprend tout à zéro au prestigieux studio Wisseloord d’Hilversum, aux Pays-Bas. Le Black Fuel qui en résulte est produit par un pote à Judas Priest, Attie Bauw. Le disque fume et éructe, s’avance fier et visqueux. Le clip de la plage titulaire est un machin avec hélicoptère et porte-avions (?) tout écumant d’effets MTV. Malgré la promo, les moyens, les gros festivals (Torhout/Werchter), cet Essence Noire fait une moins jolie carrière que le précédent. Fatigue et amertume en résultent: peu après un passage enregistré (pour un CD Live) au Marktrock de Leuven le 15 août 1997, Channel Zero tire sa révérence.

Plaisirs immédiats

Douze ans et des poussières ont passé. Le monde va toujours aussi mal: Channel Zero a du grain à moudre dans son metal de retour. Il s’est dégotté un manager, Marlon, qui a concrétisé le vieux fantasme, nourri par des fans en blogs, de le faire revenir sur scène. Il s’est aussi trouvé un guitariste d’envergure: l’Américain Mikey Doling, entendu dans Soulfly. Pas le genre de mec qui oublie de mettre des piles dans sa six cordes Turbo. Le groupe a déjà répété avec lui à l’été 2009, en septembre et s’y remet ces jours-ci, très enthousiaste. A l’AB, il est probable qu’il y ait une pincée de nouveaux titres, il est possible aussi que ce come-back spectaculaire ne s’arrête pas à la salle du Boulevard Anspach. Channel Zero y pense sans doute mais pour l’instant, le mot d’ordre est simple et entier:  » On travaille pour offrir un show à la hauteur de ce que les gens nous ont déjà offert en voulant venir à ces concerts. »

(1) même si dans les années 50/60, des artistes comme Jacques Brel occupaient volontiers l’ancienne Ancienne Belgique – avec tables et chaises – pour deux ou trois semaines d’affilée.

(2) deux autres guitaristes, successivement Patrice Hubloux (1965-1995) et Peter Iterbeke, jouent sur les deux premiers albums.

Discographie chez Pias

Les concerts du 22, 23, 24, 28, 29 et 31 janvier à l’Ancienne Belgique sont completswww.channel-zero.be

CONCOURS

Gagnez 2 tickets et un Meet & Greet pour le concert archi complet du 31/01 à l’AB sur www.focusvif.be

Rencontre Philippe Cornet

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