Début novembre, Manaus accueillait, pendant une semaine, la 6e édition du Amazonas Film Festival, une manifestation vouée au cinéma et à la sensibilisation aux enjeux environnementaux. Récit.

« T he event is not an ordinary film festival. » Promesse, avertissement ou constat objectif? La petite phrase, ouvrant le dossier de presse du 6e Amazonas Film Festival, n’aura pas manqué, en tout cas, d’attiser la curiosité comme d’alimenter les spéculations des quelques journalistes conviés à la fête. Pensez, un festival de cinéma perdu au milieu de la jungle amazonienne, dans une ville dont le nom éveille quelques échos mythiques, de Fitzcarraldo à l’opéra, édifice dont la seule vue constitue déjà un enchantement, voilà assurément qui allait changer des habitudes. A ce point improbable, d’ailleurs, qu’un flash-back s’impose ici.

Voilà une demi-douzaine d’années, en 2003 très précisément, que le gouvernement de l’Etat d’Amazonie, au Brésil, décidait de lancer une manifestation lui permettant de donner de la voix dans le concert international – histoire de rappeler qu’il y avait là un patrimoine naturel d’exception, la plus grande forêt tropicale humide au monde, requérant plus que jamais l’attention de tout un chacun, dans un combat s’inscrivant dans une perspective plus vaste. Au siècle de l’image, quoi de mieux qu’un festival de cinéma pour se faire entendre? Avec l’appui du Public Système, agence de communication française spécialisée notamment dans l’organisation d’événements cinématographiques – du festival du film américain de Deauville à celui de Marrakech – était lancé, un an plus tard, le Mondial de l’Aventure de Manaus, une manifestation s’inscrivant au confluent d’intérêts cinématographiques, écologiques et politiques.

Une poignée d’années plus loin, si la « raison sociale » a quelque peu évolué – on parle désormais de Festival du Film d’aventure, de nature et d’environnement; « l’aventure de l’époque, c’était celle de la planète », observe Lionel Chouchan, président du Public Système -, les objectifs, et les arguments sont restés globalement inchangés. « L’image et ceux qui la réalisent sont devenus peu à peu l’arme absolue de conviction massive », se plaît-il encore à souligner, évoquant la genèse d’un rendez-vous annuel de l’image s’appuyant sur le rayonnement de personnalités emblématiques. Au fil des ans, ont ainsi défilé, sur les rives du Rio Negro, des ambassadeurs aussi prestigieux que Claudia Cardinale, Roland Joffé, Roman Polanski, John Boorman, Claude Lelouch et on en passe…, tous venus servir notamment la cause amazonienne.

Année de la France au Brésil aidant, le millésime 2009 a de forts accents français, avec Carole Bouquet dans le rôle de la marraine du Festival, et Mireille Darc dans celui de l’invitée d’honneur, cette dernière, pour des retrouvailles avec le Brésil, 35 ans après Le Retour du grand blond et les plages de Rio. Une Mireille Darc qui, fort symboliquement, s’en ira planter un arbre dans la forêt tropicale, en gage de renouveau.

On n’en est pas encore là, toutefois, et, en ce premier jour, chacun prend ses marques, tentant de s’accommoder de la chaleur, écrasante, et plus encore de l’humidité, étouffante. Charme et particularité de l’événement, toute la délégation « officielle » est logée dans un même établissement, le Tropical Hotel, palace surplombant le fleuve à quelques encablures – plus ou moins 30 minutes, suivant l’inspiration du chauffeur – du centre ville. Invités, membres des différents jurys, organisateurs, journalistes, représentation en mode jet-set de l’un des sponsors, il y a là un équipage hétéroclite appelé à se côtoyer pendant une semaine de salles de projection en réceptions et autres excursions inscrites au programme. Pour l’heure, on se contente de se familiariser gentiment avec la configuration de l’hôtel -un labyrinthe aux couloirs interminables et qui, parmi ses facilités, propose rien moins qu’un zoo, fauves inclus…

Il est 18 h environ (le flou horaire s’érigera rapidement en art local) lorsque tout ce beau monde se met en branle, direction le Teatro Amazonas, au c£ur du centre historique de la ville, cadre de la cérémonie d’ouverture, et épicentre du festival. Une demi-heure de route dans la ville déjà plongée dans la pénombre, et les images d’Epinal défilent, entre circulation anarchique et étals proposant de tout, et aussi de rien – scènes classiques arrachées à un quotidien dont l’on ne verra en définitive que fort peu. Arrivé à destination, quelques dizaines d’aficionados apprécient les efforts du Monsieur Loyal qui, avec un bel abattage, anime la Red Carpet: en un rituel qui se répètera, jour après jour, les invités défilent, sous les vivas et dans le crépitement des flashes. Le tout, dans une ambiance bon enfant -celle qui prévaudra à l’essentiel de la manifestation.

Enfin, presque, parce que là, en ce jour J, c’est du sérieux, avec, bientôt, tout le gratin local et international qui se bouscule sur la scène du Teatro devant des invités qui n’en demandaient pas tant. Organisateurs, jurys – conduits, pour la fiction, par John Die Hard McTiernan, et pour le documentaire par Stefanie Powers -, invités d’honneur, gouverneur de l’Etat, le défilé semble ne jamais devoir en finir. Si bien que lorsque débute, sur le coup de 23 h locales bien sonnées, la projection de Antes que o mundo acabe, une partie de l’assistance s’abandonne aux bras de Morphée, tombant sous le double coup du décalage horaire et de l’académisme naïf du film…

Hallucinations sur le Rio Negro

Samedi matin. L’ouverture officielle derrière soi, le festival semble trouver ses marques. Documentaires au Teatro Guarany pour les uns, fictions au Teatro Amazonas pour les autres, on se répartit en deux vans pour rejoindre le cadre des opérations. La ville n’apparaît guère différente à la lumière du jour: dotée d’un certain charme suranné en son centre, en proie à un développement désordonné en sa périphérie. Le film projeté ce matin vient du Kazakhstan, et s’appelle The Gift to Stalin, première bonne surprise d’une sélection qui en comptera diverses, de Frontier Blues de l’Iranien Babak Jalali, à Whisper with the Wind de l’Irakien Shahram Alidi. Pour, à défaut de fil rouge plus marqué, s’ériger en état des lieux forcément précaire du monde.

De quoi résonner avec le leitmotiv d’une manifestation dont on commence à mesurer le caractère singulier. En dépit des 20 à 25 000 spectateurs annuels annoncés, l’impact local semble, par exemple, minime (il n’y a, du reste, pas une affiche à l’horizon). Cela, même si les séances en plein air – comme, ce soir, Natal de Portela, film brésilien de 1988 n’étant pas sans accointances avec Orfeu Negro – s’attirent les faveurs des curieux dans le cadre agréable du Largo de São Sebastião, et celles de courts métrages brésiliens drainent une assistance nombreuse. A quoi l’on ajoutera les projections organisées à destination de publics spécifiques, dans les hôpitaux ou les prisons, par exemple, mais aussi dans les villages avoisinants. Quant au programme cinématographique officiel, il fait bientôt relâche, le temps pour la délégation internationale de découvrir les charmes de la région. En ce troisième jour, la caravane du festival délaisse donc le confort du Tropical et la fraîcheur (sic) du Teatro Amazonas, pour rejoindre, en bateau, The Meeting of Waters. L’occasion, chemin faisant, de faire la connaissance de Rodolfo Nanni, cinéaste brésilien, auteur, il y a 50 ans du documentaire O Drama das Secas, tourné dans le Nordeste, sur le cadre duquel il vient de revenir pour O Retorno. Gentilhomme d’un autre siècle, il évoque, du haut de ses 85 ans, ses études à l’Idhec, à Paris, une master class de René Clair ou encore cette Mostra de Venise 54, où il put découvrir Senso, La Strada et Rashomon. On hallucine, suspendu à ses lèvres, moment où l’embarcation atteint le lieu où les eaux noires du Rio Negro croisent, sans s’y mélanger, celles brunâtres de la Solimoes River, en un spectacle absolument saisissant. Il faudra, le lendemain, une incursion en forêt amazonienne pour le surpasser, le temps d’une nuit au Ariau Towers, complexe hôtelier sur pilotis qui, pour peu que l’on oublie un accueil sous influence Club Med et des éléments décoratifs au kitsch très Disneyland, ne manque pas d’étonner. Là où la nature, d’une indescriptible beauté et d’une insondable majesté a, pour sa part, le don de subjuguer.

Tomber les masques

« L’Amazonie a eu la force de faire tomber tous les petits masques de protection des uns et des autres », nous confiera Natacha Régnier, membre du jury fiction (lire par ailleurs). Faut-il en voir la raison? Au retour à Manaus, après trois heures de navigation sur les eaux tranquilles du Rio Negro, l’assemblée apparaît un brin dissipée – les images amazoniennes sont de celles que l’on n’oubliera pas. De quoi être aussi dans la disposition d’esprit appropriée pour entendre, le lendemain, la secrétaire d’Etat à l’Environnement énumérer les avancées incontestables réalisées par l’Etat d’Amazonie en termes de préservation de la forêt. Même si, en matière de développement durable, tout reste à faire par ailleurs – sans quoi, objectera-t-on, l’on ne serait pas là.

Insensiblement, le cinéma est passé à l’arrière-plan. Les rangs sont clairsemés lors de la projection de Revolution Revisited, présenté par Hugh Hudson qui a reformaté son film de 1987 sur la révolution américaine avec le concours de son acteur principal, Al Pacino. Ils ne seront guère mieux garnis le lendemain, pour la projection du remarquable Whistle with the Wind, évocation du massacre des Kurdes en Irak sous le régime de Saddam Hussein.

Si l’intérêt semble s’être quelque peu dispersé, les différents jurys ont, pour leur part, gardé le cap. Annoncé lors d’une soirée en plein air aux allures de vaste fête populaire, le palmarès est conforme aux attentes, avec des prix à Humpday, Whistle with the Wind et The Road côté fictions; Wild Opera, Green et Lost Gorillas of Virunga côté documentaires. Jusqu’au Spider Man local, objet d’un court métrage, Picolé do Aranha, qui s’en repart avec un prix du public dûment ovationné – le simple port de sa combinaison par une température moyenne de 35° méritait, pour tout dire, le respect. De quoi boucler sur une note souriante un périple aux accents paradoxaux dans sa combinaison d’intérêts divers. Et se remémorer, alors qu’un feu d’artifice spectaculaire illumine le ciel de Manaus, la petite phrase initiale. « The event is not an ordinary film festival. »

Indeed.

Texte Jean-François Pluijgers, à Manaus.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content