AVEC PATER, ALAIN CAVALIER POURSUIT UNE OUVRE SINGULIÈRE, LIBRE ET LÉGÈRE, REFUSANT LE FORMATAGE POUR MIEUX AFFIRMER SA FOI DANS LE CINÉMA. RENCONTRE.

On l’aurait bien vu figurer au palmarès d’un festival de Cannes d’une exceptionnelle qualité. Mais si Pater n’a pas eu l’heur de convaincre Robert De Niro et ses compagnons du jury, le film d’Alain Cavalier a, à tout le moins, remporté la Palme de l’émotion, celle qui devait étreindre le public du Grand Théâtre Lumière avant et après sa projection -quelques heures plus tard, Vincent Lindon, qui en a pourtant vu d’autres, était toujours sous le choc.

Dans ce film, Alain Cavalier explore des binômes multiples, père-fils, réalisateur-acteur, Cavalier-Lindon, et même Président de la République-Premier ministre, en une déclinaison ludique et réflexive à la fois. En ressort un film fascinant, léger et profond, libre et éminemment singulier aussi -le plus inventif, sans doute, que l’on ait vu en compétition lors de cette levée 2011 du Festival. La démonstration aussi, que l’on peut approcher 80 printemps -le 14 septembre prochain- et témoigner d’une jeunesse insolente. Le réalisateur que l’on retrouve dans la quiétude d’un salon du Majestic a d’ailleurs le regard complice, et le chuchotement qui va de pair, comme quelque conspirateur pas mécontent du bon tour qu’il viendrait de jouer.

Pater arrive après plusieurs films de facture intime. Au moment de vous lancer dans ce projet, qu’est-ce qui vous a donné envie de vous inscrire dans le débat public?

Je passe une heure par jour au café, avec tous les journaux du jour. Je suis passionné par la politique, les faits divers, le sport, le foot, et j’ai essayé de savoir quel serait le truc que je pourrais un jour filmer. Mon père était un haut fonctionnaire, qui exerçait un vrai pouvoir, et cela m’a intéressé. Il ne s’agissait pas tant de dire au spectateur que Vincent était Premier ministre et moi Président, mais bien qu’on existait tous les 2, et qu’à partir de là, pourquoi on ne se dirait pas, de temps en temps, « si j’étais premier ministre, qu’est-ce que je ferais? ». Et comme dans notre folie, on avait décidé d’avoir un programme, on s’y est tenus, et on l’a poussé. Ce n’est pas un brûlot, mais c’est quand même légiférer sur la différence entre les plus bas et les plus hauts salaires, ce qui est loin d’être abordé dans la politique aujourd’hui.

Vous estimiez en avoir terminé avec les films qui étaient plus à la première personne?

Quand j’ai découvert la caméra à la main, et que je l’ai portée à mon £il, j’ai eu l’impression d’avoir affaire à une autre personne, du Il, j’étais passé au Je, je parlais au spectateur à la première personne. Et le spectateur savait que c’était moi qui filmais ce que je ressentais, ce que je voyais, ce qui m’amusait ou qui me perturbait. Et j’ai fait ça, jusqu’au moment où je me suis dit que je ne pouvais pas continuer indéfiniment. J’ai rencontré Vincent, et avant de décider qu’on tournerait un film ensemble, je ne savais pas ce qu’on allait faire. Un jour, je l’ai vu dans un café, je l’ai regardé, et c’était mon fils. D’où le rapport Président-Premier ministre, père-fils.

Pourriez-vous commenter cette phrase que dit Vincent Lindon à la toute fin du film:  » Si c’est un film, c’est que c’est vrai. « ?

Il y a un moment où on ne sait plus très bien. J’arrivais, et j’avais des rêves de Président. Et pourtant, Dieu sait que je n’ai pas un ego surdimensionné. Quelque chose de bizarre se produit: vous regardez le président en exercice, et des films d’autres présidents, et tout d’un coup, vous devenez l’un d’eux parce que vous travaillez ça. Quand j’ai fait un film sur Thérèse, la petite carmélite, je suis devenu une carmélite. Je suis devenu une femme, et elle est vivante aujourd’hui, je lui parle pratiquement tous les jours. Le fantasme devient réel, et le cinéma adore ça, on ne sait pas très bien sur quel pied danser. Et le film le dit au public: il y a des entrées et des sorties, on peut jouer avec le vrai et le faux.

Vous abordez aussi la question du rapport de l’acteur à sa position d’acteur…

J’ai travaillé avec des acteurs en jouant le jeu de la beauté, en montreur, sur des films avec Alain Delon, Catherine Deneuve, Romy Schneider. Maintenant, ce qui m’intéresse, c’est savoir ce qu’un acteur a à l’intérieur. Et ça, Vincent, ça l’a tenté. Les acteurs sont plus touchants lorsque l’on voit un peu leur vérité que lorsqu’ils nous vendent leurs artifices. Quand il a découvert le film, Vincent a quand même été surpris. Parce que les acteurs construisent leur vie sur des rôles dans lesquels ils dissimulent ce qu’ils n’aiment pas chez eux. Là, comme il est quand même un peu lui-même, en roue libre, il était tétanisé, mais il s’y est habitué, petit à petit, et l’accueil du public l’a rassuré. C’est un don qu’il fait: il ne contrôle rien, même pas le montage final, puisque je ne lui ai pas montré.

Qu’est-ce qui vous a convaincu qu’il était l’acteur idéal pour se prêter à cela?

En voyant ses films, c’est l’un des rares acteurs français que je trouvais juste, simple, costaud, sans fioritures, sans séduction, il ne se tortillait pas. Il me plaisait, par une sorte de franchise de jeu. Dans mes rêves de revenir à mes amours anciennes de mettre en scène des acteurs qui plaisent au public, il y avait 2 personnes que j’aurais aimé bien filmer, et offrir au public dans ce qu’elles avaient de meilleur, c’était lui, et Sophie Marceau.

Que vous apporte le cinéma?

Je me le suis souvent demandé. Je me lève, le matin, et je filme tout, je suis un cinéaste à 100 % de la journée. C’est un peu bizarre pour les autres, qui ne vivent pas comme moi et ne voient pas tout comme moi. Je suis donc un peu à part, mais en même temps, vivre et filmer, cela se mélange, et c’est très agréable. Parce que quand vous filmez, vous avez l’impression de continuer à vivre, donc vous faites des choses vivantes, vous n’entrez pas dans un moule artificiel où il faut exercer un métier avec des règles. J’ai ma petite caméra, et quand c’est trop fort, je filme, si je peux. Beaucoup de choses sont infilmables, évidemment, parce que personne ne le supporterait. Si on filmait entièrement 24 heures de votre vie, et qu’on vous les projetait, je suis sûr que vous en censureriez les 9 dixièmes. Le cinéma le fait, hélas. J’attends avec impatience un jeune couple sympathique, des gens ayant une certaine présence, cinéastes, décidant de filmer leur vie sur un week-end, un mois, l’intégrale. A ce moment-là, nos petits baisers tout doux, ou un film porno absolument dément, tout ça paraîtra nul, par rapport à ce qu’eux apporteront dans les domaines de l’esprit, du corps, des mouvements. Et on trouvera peut-être le paradis, jamais perdu par le cinéma, puisqu’il ne l’a jamais connu.

Vous dites dans le film que l’homme est faible. Au regard de l’actualité, vous le dites doublement ( l’interview se passe au lendemain du déclenchement de l’affaire DSK, ndlr)?

J’ai tourné cela il y a 7 ou 8 mois, je ne pensais donc pas du tout que cela recouperait avec l’actualité très triste d’aujourd’hui. Je suis plus frappé par l’admirable visage de cet homme perdu et détruit qu’on nous a offert à la télévision, le visage de Strauss-Kahn, et je pense que tous les comédiens du monde devraient regarder ce que c’est qu’un homme perdu et sonné, c’est inimitable. Alors le croisement, effectivement, avec une photo compromettante entre 2 adversaires politiques dans le film passe au second plan à côté de cela.

Vous ne craignez pas que l’on ne retienne que ce passage d’un film qui est beaucoup plus riche?

Que voulez-vous que j’y fasse? Peut-être que les gens, c’est ça qui les frappera fortement. Qu’est-ce qui reste des acteurs, des hommes d’Etat, des £uvres littéraires? De petites choses. Moi, quand on me rencontre, je suis l’homme qui a fait Thérèse, et en dehors de ça, je n’existe pas. Donc c’est très bien, les gens prendront ce qu’ils veulent…

ENTRETIEN JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À CANNES

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