LUZ N’EN A PAS FINI AVEC LES ATTENTATS DE CHARLIE. IL PUBLIE L’ADAPTATION TRÈS PERSONNELLE ET DOULOUREUSE D’UN RÉCIT D’ALBERT COHEN SUR LA DÉCOUVERTE DE L’ANTISÉMITISME ET, SURTOUT, LA PERTE DE L’INNOCENCE.

Ô vous, frères humains

DE LUZ, D’APRÈS L’oeUVRE D’ALBERT COHEN, ÉDITIONS FUTUROPOLIS, 136 PAGES.

8

Il y a un an, Catharsis fut un cri. Celui du dessinateur Luz, qui avait échappé aux attentats du 7 janvier, mais qui y a perdu, comme Catherine Meurisse, beaucoup d’amis et l’envie de dessiner. Un récit bouleversant très personnel et coup-de-poing, dessiné à la rage, sur les jours qui ont suivi l’innommable: son quotidien, ses sentiments, ses larmes, sa colère. Son humour aussi, ultime politesse, c’est bien connu, du désespoir. Un livre qui devait lui permettre, si pas de se relever, d’au moins avancer. Un an plus tard, Luz revient avec un album tout aussi poignant, mais cette fois paradoxal: l’auteur a choisi d’adapter le récit intime d’Albert Cohen, Ô vous, frères humains, dans lequel l’écrivain, alors âgé de 77 ans, racontait son traumatisme originel. Le jour de son dixième anniversaire, un camelot de rue l’alpague et l’invective, à coups de « sale youpin! » sous les yeux d’une foule partagée entre l’hilarité et l’indifférence. Une découverte de l’antisémitisme qui va bouleverser le petit garçon qu’il est, et qu’il n’oubliera jamais. Un an après Catharsis donc, Luz adapte ce récit -à nouveau un cri. Qui résonne à chaque page, à chaque trait de plume, de sa propre souffrance et de son propre désespoir.

« Ne voyez-vous pas que je vous aime? »

Cette perte de l’innocence habite Luz depuis les attentats, et explique à elle seule le pourquoi de cette adaptation, brillante mais douloureuse de bout en bout. D’une incroyable maîtrise graphique et narrative, Luz se concentre sur ce moment fondateur et sur les affres intérieures qui désormais minent le petit Albert (et le grand Luz), soit plus de cent pages presque toujours muettes, où le texte, rare mais saisissant, devient un véritable personnage, organique: il envahit la tête du petit Albert, le hante, l’abîme. Une souffrance née de la rencontre avec « la haine imbécile » que Luz transforme en cri d’effroi mais aussi d’amour: « Ne voyez-vous pas que je vous aime?« , se dit ainsi Albert (et évidemment Luz). « Ne voyez-vous pas que je ne peux pas vivre sans vous? » Et d’achever son récit d’une rare puissance visuelle par les dernières pages, cette fois in extenso, du récit de Cohen: « En vérité, je vous le dis, par pitié et fraternité de pitié et humble bonté de pitié, ne pas haïr importe plus que l’illusoire amour du prochain (…). » Rarement adaptation aura autant parlé de son adaptateur.

O.V.V.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content