Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

ÉTALÉ SUR PLUS DE 70 ANS, LE PARCOURS D’HENRI CARTIER-BRESSON APPELAIT UNE RÉTROSPECTIVE. LE CENTRE POMPIDOU INVITE À EXAMINER L’oeUVRE DANS TOUTE SA COMPLEXITÉ.

Henri Cartier-Bresson

CENTRE POMPIDOU, À 75004 PARIS. JUSQU’AU 9 JUIN.

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Il n’y a pas que sur les claviers que l’époque affectionne les raccourcis. A l’heure du fast food et de la pensée en 140 caractères maximum, tout un chacun est prié de ne pas débarquer avec les volumes d’A la recherche du temps perdu sous le bras. Plus que le temps, c’est la peine qui est perdue. A la complexité et la rupture, le temps présent préfère l’uniformité et l’histoire cousue de fil blanc. Bref, le topos, ce lieu commun terriblement rassurant qui voudrait résumer Proust à une madeleine, Kafka à un cafard, et Henri Cartier-Bresson au fameux « instant décisif ». Heureusement, la résistance s’organise.

Pas clair

A ce titre, la très belle exposition programmée par le Centre Pompidou s’apparente à une crème anti-rides. Au fil de 500 photographies et documents, la rétrospective fait apparaître l’oeuvre de Cartier-Bresson telle qu’elle est réellement: plurielle, disruptive, vaste -quelque 30 000 tirages. Il faut souligner que le rôle du photographe -passé au paradis de la pellicule il y a tout juste 10 ans- est ambigu face au jugement hâtif porté sur son travail.

« L’oeil du siècle » a soufflé le chaud et le froid quant au regard que l’on pouvait porter sur le corpus d’images qui était le sien. Cartier-Bresson a largement signifié l’aspect hétérogène de son travail en jouant dès qu’il le pouvait avec son nom. On se souviendra peut-être de l’anecdote -souvent rapportée- selon laquelle la directrice d’un journal du Tennessee cherchait à programmer une rencontre entre ses photographes et « Kurt Yaberson » afin qu’il initie ses reporters à la prise de vue -« Kurt Yaberson »: comprendre « Cartier-Bresson » avec l’accent du sud des Etats-Unis. Cartier-Bresson adorait que son nom soit ainsi transformé, il ne s’est pas privé d’y contribuer lui-même, se faisant appeler « Hank Carter » au Japon, « En rit Ca-Bré » à la fin de sa vie ou « Ka Beu shun » en Chine, c’est-à-dire « celui qui réussit dans ce qu’il entreprend ». Loin d’être anecdotiques, ces variations sur son patronyme sont les avatars d’un photographe multiple façonné par les rencontres, les voyages et les événements. A l’opposé de cette dispersion -et c’est bien là que se situe toute l’ambiguïté du personnage-, Cartier-Bresson a oeuvré dans le sens d’une homogénéisation de ses images. C’est tout particulièrement frappant à la lueur de la maîtrise qu’il voulait à tout prix exercer sur sa production. Dans les années 70, il a diffusé une sorte de portrait officiel de son travail à travers la « Master Collection », soit 400 clichés sélectionnés comme étant les meilleurs et tirés en six jeux d’épreuves destinés aux grandes institutions internationales. Ce n’est pas tout: pour chacune des expositions monographiques qui lui étaient consacrées, le photographe imposait un ensemble d’épreuves d’un ou deux formats sur des papiers d’une même qualité de tonalité, de grain et de surface. Ces deux éléments ont longtemps contribué à donner une image uniforme de la signature visuelle Cartier-Bresson. Le coup de génie des curateurs de la rétrospective à Pompidou est d’avoir renoué avec la temporalité historique de la production des images en privilégiant, la plupart du temps, les tirages réalisés à l’époque de la prise de vue. Ce n’est pas là le moindre mérite d’une exposition qui permet de pointer l’aspect de rupture et de voir l’oeuvre évoluer sous nos yeux, forcément ébahis.

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MICHEL VERLINDEN

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