Philippe Elhem
Philippe Elhem Journaliste jazz

LE TROISIÈME COFFRET DE LA SÉRIE BOOTLEG DOCUMENTE L’INVENTION PAR MILES DU JAZZ-ROCK, MUSIQUE À LAQUELLE IL SE REFUSAIT POURTANT À DONNER UN NOM…

Miles Davis

« Miles At The Fillmore – Miles Davis 1970: The Bootleg Series Vol. 3 »

COLUMBIA/LEGACY 3812 (SONY)

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Miles franchit le fossé qui le séparait de la scène rock en 1970. Le temps d’un printemps, et d’un été qui culminera avec sa prestation au festival de l’île de Wight le 29 août. Le Prince of Darkness, figure désormais bankable de la musique pop/rock, quitte le circuit des clubs de jazz -même s’il reviendra à ces derniers (du moins les plus vastes) à la fermeture des fameuses salles créées par le promoteur Bill Graham. La cause de ce petit miracle se nomme Bitches Brew, un double album qui fait l’effet d’un coup de tonnerre dans le monde d’un jazz déjà bien divisé à ce moment de son histoire, entre défenseurs de l’orthodoxie hard bop et tenants de la révolution free, amenant par ailleurs quelques alliances contre-nature à se constituer entre ceux qui aiment le nouveau Miles et ceux qui le haïssent. Le public rock l’adoptera par contre sans réserve, réalisant l’ambition du trompettiste depuis son (court) mariage avec Betty Mabry, une chanteuse de 27 printemps qui lui a fait écouter et rencontrer Jimi Hendrix et Sly Stone tout en relookant sa garde-robe. Toutefois, ses tout premiers pas dans le monde du rock, c’est avec le Lost Quintet à peine augmenté du percussionniste brésilien Airto Moreira qu’il les effectuera au Fillmore East à New York les 6 et 7 mars 1970, anticipant la sortie de Bitches Brew de plus d’un mois. Ce dernier, avec sa musique binaire et sa pochette hip, est d’ailleurs au départ un véritable casse-tête pour la Columbia qui ne sait trop en direction de quel public le promouvoir. Pourtant, lorsque Miles retournera au Fillmore East pour les concerts repris dans ce coffret les 17, 18, 19 et 20 juin de la même année, soit moins de deux mois plus tard, le nouvel album figurera dans les charts américains et s’imposera au fil du temps comme l’un des deux enregistrements les plus populaires du trompettiste.

En trois mois, cette musique en constante évolution a tout transformé autour du maître: non seulement son environnement professionnel mais aussi son répertoire qui, exception faite ici de I Fall In Love Too Easily et The Theme, ne contiendra bientôt plus aucun titre du répertoire acoustique. Passé au tout électrique, le groupe, s’il comporte toujours Jack DeJohnette à la batterie, Dave Holland à la basse (électrique) et Chick Corea au Fender Rhodes, comprend désormais Keith Jarrett à l’orgue (les deux claviéristes ne se côtoieront que trois mois) et Steve Grossman, remplaçant un Wayne Shorter parti vers de nouvelles aventures, aux saxophones ténor et soprano -Airto Moreira (voix, sifflet, percussions brésiliennes et autres) continuant à jouer les électrons libres. Reste Miles qui, plus chef de bande que jamais, a désormais ajouté une pédale wah-wah à sa trompette. Funky, hypnotique et binaire, la musique se révèle à la fois foisonnante et dépouillée, touffue et limpide, mélodique et chaotique. Partiellement inédits, ces quatre concerts, sortis à l’époque sur un double LP (et réédité en CD) dans des versions sévèrement remontées sous le titre Miles Live At The Fillmore, nous sont proposés ici dans leur intégralité -les CD 1 et 3 étant augmentés, en guise de bonus, de Paraphernalia et Footprints pour le premier, de Miles Run The Voodoo Down pour le second, tous trois enregistrés au Fillmore West de San Francisco, le 11 avril de la même année.

PHILIPPE ELHEM

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