C’est la question à 1 euro du moment: le modèle du tout gratuit va-t-il se payer le scalp du capitalisme? Parti du Net où il a prospéré avant de contaminer le monde « réel » (journal Metro, etc.), le virus de la gratuité est arrivé à un stade critique de son développement: soit il confirme l’essai et modifie en profondeur le métabolisme de l’économie, soit il s’essouffle et finira tôt ou tard sur l’étagère des douces utopies. Dans le giron de la culture, qui fait un peu office de laboratoire sur ce coup-là, la bataille fait rage. Même si la nouvelle retraitée Lily Allen lançait récemment un retentissant  » Fuck you » à tous ceux qui téléchargent sans passer par la caisse, le curseur penche à première vue du côté des généreux donateurs. Dernier exemple en date: les Smashing Pumpkins qui, après Radiohead ou Nine Inch Nails, ont fait savoir qu’ils mettront gracieusement en ligne leur prochain album. Attention, pas un moignon d’album, non, un disque charnu et copieux de 44 morceaux. Pourquoi on n’y croit qu’à moitié alors? Parce que tout travail mérite salaire? Un peu court. Il n’est en effet pas interdit d’imaginer un monde où le troc servirait de monnaie d’échange. Plutôt parce qu’en y regardant de plus près, on se rend compte que cette gratuité a souvent un prix. Elle sert de produit d’appel pour harponner le client et lui fourguer derrière des services, de la camelote ou encore de la pub au kilomètre comme sur Spotify, le dernier juke-box numérique à la mode. Le tout avec la complicité du Net qui se transforme pour l’occasion en vitrine de luxe. Ainsi, pour revenir aux Smashing, la forêt de MP3 cache l’arbre des coffrets (avec bonus juteux) qui se vendront au prix fort dans la foulée – rapport à notre besoin de toucher et de posséder une trace physique de ce qui nous définit. Même topo pour Google Books. Le géant du Net fait du gringue aux bibliothèques pour pouvoir numériser leurs trésors. Le patrimoine littéraire mondial en un clic, et à l’£il encore bien! Même Diderot n’aurait pas osé en rêver. Mais c’était trop gratuit pour être vrai. Car voilà qu’aujourd’hui Google lance un service d’impression à la demande – payant celui-là – de ce catalogue de 2 millions de livres. La gratuité est donc une nouvelle fois un leurre. Sinon un guet-apens. L’histoire nous enseigne que la technique (de vente) a d’ailleurs toujours existé. Gillette a gagné la guerre du poil en inondant le marché US de rasoirs jetables. Quand le gourou américain du Net Chris Anderson affirme dans son essai Free! que tout sera gratuit sur le Web demain, il prend soin de préciser  » si c’est numérique« . Pour le reste, il faudra ouvrir le portefeuille ou se contenter du lèche-vitrines. On n’a rien pour rien…

par laurent raphaël

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