Une gloire précoce et dévorante, une lourde charge paternelle, un malaise endémique: Michael Jackson s’est réfugié dans l’illusion du glamour et de l’enfance. Considérons qu’il en est mort.

Il n’est pas si étrange que Michael Jackson soit mort d’une défaillance du c£ur, son organe le plus secret, le plus caché, le plus sensible. Dans un geste digne d’un mélodrame shakespearien, voilà donc l’apôtre de sa propre religion qui disparaît alors qu’il s’apprêtait à remonter en scène pour cinquante concerts londoniens sold-out, bien décidé à reprendre sa couronne profondément ébréchée de Roi de la Pop. L’équivalent funky de Dieu sur Terre, d’Empereur suprême du groove. Cette mort, plausible vu la manne d’opérations et de médicaments infligés au corps comme territoire mutant, a en tout cas surpris et peiné, la mauvaise nouvelle parcourant la planète dans le même élan bionique d’étonnement, de frisson et, oui, de tristesse. Confirmant qu’en cela, Michael Jackson était bien un être humain, plus grand dans la mort que dans une vie se chargeant, particulièrement ces dernières années, de sans cesse lui rappeler ses limites, ses faiblesses. Et même peut-être son indécente conduite avec les mineurs.

Ceinture et ceinturon

Pendant sa seconde moitié de carrière – en tout cas après Thriller en 1982 -, Jackson pratique la mégalomanie élevée au rang de Beaux-Arts. Etre le plus grand, le plus fort, le plus magnifié. Jusqu’à s’en attribuer les artefacts risibles – ceinture de grand commandeur, uniforme néo-royal, décorations bidon – qu’il crée comme dans un vieux relent d’enfance fripée. Sa propre obsession de la royauté, comme la création de son domaine Neverland, constituent une lecture sans aucun doute freudienne du désir de ne pas vieillir et de défier l’éternité. Non pas de geler sa propre enfance, mais de la réécrire, puisque telle qu’elle passa, elle ne fût point heureuse. Michael naît dans une fratrie pauvre et nombreuse – dix enfants, dont un garçon mort-né – menée par un père que la légende, mais pas seulement elle, transforme rapidement en figure terrible. Joseph Jackson, ex-boxeur raté à Chicago, musicien sans brio, est le prototype du mâle dominant vu sa propension à redresser à coups de ceinturon toute note musicale défaillante de sa progéniture. Michael, en particulier, en concevra une inaltérable terreur. L’éducation donnée sera de cette teneur: discipline, esprit de corps, obéissance. En tout cas pour l’aspect officiel des choses, une face plus sombre se dévoilant assez rapidement alors que Joseph manage The Jackson Five. Le groupe formé avec les quatre frères aînés de Michael – Jackie, Tito, Jermaine et Marlon – prend du poids en signant à la Motown en 1968. Le talent de Michael y est, d’emblée, éclatant. Prodige précoce, vocaliste éblouissant, danseur naturel, il est le diamant familial, celui qui résiste à toutes les tailles. Tout au moins en apparence. Parce qu’avant le florilège de tubes (I’ll Be There, Ben, ABC), l’esprit troupier du père emmène le très jeune Michael Jackson et ses frères dans des tournées de clubs pas forcément recommandables: boîtes à strip-tease, lourde présence de groupies, sexe cru, violence. Michael, témoin non participant, mais voisin obligatoire des bacchanales de ses aînés, en concevra un traumatisme durable. Pour lui, l’autre, c’est d’abord – forcé-ment – un étranger. Ce n’est pas tenter la psychanalyse de bas-étage que de souligner la dualité de ces années-là. Les Jackson Five – plus tard recyclés en The Jacksons – surfent sur l’incroyable succès de la Motown et engrangent un moment les hits mais il est clair que leur chanteur à la voix angélique se sent prisonnier des paradis communautaires. Le grandiose album Off The Wall, sorti en août 1979, confirme que Jackson n’a besoin de personne pour briller en solo: du funk initial développé par James Brown et Sly Stone, il donne une version fulgurante, racée et aussi réaliste qu’un film Disney. La vie ne peut être qu’une illusion, un enchantement. La mondialisation se confirme dans la foulée, avec ce Thriller qui agite toujours les statistiques – cent neuf millions de copies vendues? – album-monstre qui transforme, de fait, son protagoniste en phénomène de foire planétaire et consentant.

Vidé de toute substance humaine

De toutes les stars apparues depuis les premiers grognements du vedettariat pop – dans les années 40 alors que les bobby soxers jettent leurs petites culottes au jeune Sinatra, Michael Jackson a été celui qui aura le plus intensément manifesté son désir de gloire. Celui dont la transformation mentale et physique, à partir du mitan des années 80, se vit de mois en mois, d’année en année, devant l’aveuglement enamouré des fans et la cruauté inextinguible des médias. Peu à peu, apparaît une personne malade (1), accro aux antidouleurs, qui semble vidée de toute humanité: roboïde milliardaire ruiné par une course démente au consumérisme, ado black enseveli sous les traits – finalement hideux – d’une créature qui n’a plus vraiment ni race, ni sexe, ni âge. Soupçonné de pédophile (2). Reste donc l’impression d’un gâchis monumental et d’une immense solitude. L’homme qui voulait être roi s’est fait dévorer par l’adulte qu’il ne voulait pas être.

(1) Il a été diagnostiqué souffrant de lupus, maladie du tissu, et de vitiligo, une dépigmentation de la peau.

(2) Une première accusation portée en 1993 par un garçon de treize ans, Jordan Chandler, s’est finalement résolue hors des tribunaux, Jackson payant début 1994 la somme de 22 millions de dollars à la famille Chandler. Une affaire semblable portée devant la justice californienne s’est résolue en mai 2005 en faveur de Jackson.

voir également l’article en page 58 du vif / l’express

Texte Philippe Cornet

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content