
Burton, l’intranquille
Le journal intime de l’acteur de La Nuit de l’iguane révèle, à l’ombre du couple qu’il formait avec Elizabeth Taylor, une personnalité complexe.
» Lendemain de saoulographie. » C’est sur cette observation laconique que s’ouvre le Journal intime de Richard Burton, confortant l’image généralement associée à l’acteur gallois ayant formé avec Elizabeth Taylor, à qui il fut marié deux fois, un couple mythique et scandaleux, un pied dans la légende, l’autre dans une réalité parallèle. Mais si ce récit n’est pas avare en frasques diverses, envisagées par le principal intéressé avec un sens rarement pris en défaut de l’autodérision, il révèle surtout la personnalité complexe et multiple de la star de L’Espion qui venait du froid ou Qui a peur de Virginia Woolf?, fin lettré et fou de poésie notamment, un homme dont l’amour qu’il éprouvait pour sa femme – » Nous savons tous les deux que nous serions à l’agonie l’un sans l’autre« – n’avait pour équivalent que le mépris abyssal dans lequel il tenait le cinéma, une profonde intranquillité à la clé.
Burton (qui était né Richard Jenkins dans une famille de mineurs, avant d’adopter le nom du professeur d’anglais qui deviendrait son tuteur légal en plus d’orienter son parcours de façon décisive) a tenu un journal par intermittence de ses 14 à ses 57 ans. La sélection opérée par les éditions Séguier court de 1965 à 1971, soit la période où l’acteur se trouvait au faîte d’une gloire avec laquelle il entretenait un rapport ambivalent; un mal nécessaire, histoire de maintenir un train de vie extravagant, lui qui préférait à l’évidence aux plateaux de tournage et mondanités la compagnie de Liz, fut-elle tumultueuse, et celle des livres. Son journal raconte d’ailleurs ce tiraillement incessant, le montrant aussi bien tutoyant les cimes avec la bénédiction de Shakespeare notamment que se vautrant dans un luxe insensé, déconnecté parfois mais pas à l’abri de la vulgarité comme il le constate non sans ironie lors d’une hypothétique « Bataille des Rubis » devant l’opposer à Aristote Onassis.
S’il a le trait volontiers assassin, avec pour cible privilégiée les gens de cinéma, Burton ne s’exclut pas au nombre – » Quel acteur lent je fais. Comment réussir sans s’être jamais vraiment donné la peine d’essayer« , relève-t-il par exemple alors qu’il prépare La Mégère apprivoisée-, l’humour l’emportant cependant le plus souvent sur l’acrimonie. La lucidité aussi, qui lui fait encore écrire, le 22 mars 1966, visionnaire pour ainsi dire: » Certains jours sans vent, Rome est maintenant aussi polluée que n’importe quelle grande ville. Ces miasmes mortels gagnent lentement toute la planète. Est-ce qu’aucun gouvernement n’agira pour empêcher cette immense asphyxie mondiale? Ah ça, tout sera bien différent dans cent ans. L’inhumanité de l’homme envers lui-même est stupéfiante. » Pour constater plus loin, cohérent: » Dans ce monde meurtrier, peu de plaisirs peuvent rivaliser avec une légère ivresse…«
Journal intime
De Richard Burton, publié sous la direction de Chris Williams, éditions Séguier, traduit de l’anglais (États-Unis) par Alexis Vincent et Mirabelle Ordinaire, 592 pages.
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