TRÈS LOIN DU BARNUM DES ANNÉES 80-90, LE CLIP MUSICAL BELGE CHANGE DE NATURE ET DE FACTURE: SURFANT SUR LES NOUVELLES TECHNIQUES D’IMAGES, ATMOSPHÈRE ET SENS COMMUNAUTAIRE BRICOLENT L’IMAGINAIRE MUSICAL. BON MARCHÉ MAIS PAS CHEAP.

En 2011, on peut tourner un clip avec un Canon 5D Mark II -3000 euros et une qualité comparable au 16mm- et le monter avec un software Final Cut à 1000 euros. Souvenir des années 80: une grue, un podium installé devant l’open bar, une bonne poignée de figurants crooners maquillés comme des rétroviseurs volés et tout le Mirano, boîte historique de la Chaussée de Louvain, ressemble à bébé Hollywood. Deux jours de tournage, en film comme il se doit, et une préparation soignée d’une semaine pour qu’Arno et ses comparses mettent en boîte, dans la douceur, Elle adore le noir. Les années 80: décennie où le clip musical s’invente, glousse sans fin dans le robinet MTV -lancé en 1981- et se voit en roi du pétrole via des productions volontiers pharaonesques à la Michael Thriller Jackson. Le clip eighties a été précédé du Panoram américain dès les années 40 ou encore du scopitone français et italien fin de la décennie suivante. Et puis, des Beatles en noir et blanc ( Strawberry Field Forever, 1967) à Queen ( Bohemian Rhapsody, 1975), le visuel scénarisé s’impose comme jumeau naturel du son pop. Reste à faire du belge.

35 mm et maquis

Michel Perin, 66 ans, quitte la RTBF en 1985 pour fonder une société de production (Zabriskie) qui concurrence Dream Factory, également montée par un ex de la télé publique. Mais ces Belges à la mode clippent surtout de l’étranger (Robert Palmer, Daho, Bashung, Balavoine, Orchestral Man£uvres In The Dark) avec de rares exceptions nationales comme Rapsat ou Allez Allez. Perin:  » Pour le morceau In The Valley Of The Kings de ces derniers, en 1983, on est allés tourner en Israël, avec une armée de petits porteurs qui trimballaient notamment un encombrant matériel vidéo. La facture de 800 000 francs belges (20 000 euros) a été réglée par EMI.  » Dans la marge, Polyphonic Size bricole ses propres histoires: Walking Class Hero (visible sur YouTube) évoque un vieux machin de Méliès. D’autres tâtent même de l’autoproduit total, comme Snowy Red, électro-rock bruxellois eighties, qui fabrique 9 clips pour 40 minutes vendues en cassette-vidéo: tourné-monté la nuit avec du matos d’emprunt. Le clip du maquis.

Trainspotting

Logiquement, l’industrie du clip belge vogue au gré du succès du navire rock: il faut attendre l’avènement de dEUS pour qu’un groupe local assume une identité visuelle forte. Dès 1994, Tom Barman assure la réalisation de vidéos, initialement bricolées sur le gaz indé ( Suds & Soda) mais aux ambitions narratives certaines. Ainsi, Theme From Turnpike (1996) est conçu à la manière d’une bande-annonce pour un film qui n’existe pas. Tourné en 35 mm avec le comédien américain Seymour Cassel vu chez Cassavettes, et le danseur Sam Louwyck, le mini-film est projeté en première partie de Trainspotting dans les cinémas européens, ce qui encourage les ventes de l’album parent, In A Bar, Under The Sea. Le clip n’est pas seulement le garant d’une exposition supplémentaire, il complète la carte d’identité artistique du groupe. On a récemment vu dEUS se dérider sur le clip de Constant Now où ils font aussi les touristes chercheurs (?) en shorts et chapeaux de vacanciers. Casser l’image, l’aménager, surprendre: c’est ce qu’ont essayé les Girls In Hawaii et Venus, chacun à leur manière, plutôt arty. Mission moyennement accomplie: les vidéos des Brabançons tirent vers un noir et blanc assez morne et des humeurs peu expansives alors que celles de Venus tâtent d’un zeste d’art vidéo ou d’une scénarisation peu probante ( She’s So Disco). Alors, comme toujours, ce sont les vieux stéréotypes qui font bouillir la caisse: Ghinzu, en 2009, pour Take It Easy, s’est contenté de filles dénudées. Argument original: elles sortaient enduites de noir d’un miroir…

TEXTE PHILIPPE CORNET

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