Interrogé récemment à propos de la résonance des séries télévisées dans la vie de celui qui les regarde pour le documentaire Series Addicts (diffusé le 15/01 sur la Deux), le romancier et philosophe Tristan Garcia évoquait une dichotomie « psychologie plane »/ « psychologie dans le temps ». « Le temps qu’on met à lire A la recherche du temps perdu de Proust est quand même moins long que celui qu’on a mis à suivre Six feet under quand on le suivait pendant les 5 saisons. Et on a plus changé en regardant Six feet qu’on ne change en lisant A la recherche . »

Non seulement le regard contemporain sur les séries a changé, mais l’auteur de ce regard aussi. Celui-ci n’est plus seulement un fan, un geek, un admirateur obsessionnel prêt à passer tous ses défauts à son feuilleton favori. Universitaires, philosophes, chercheurs (…) et journalistes spécialisés en parlent maintenant avec tout le sérieux que l’objet sériel requiert. Le sérieux et la rigueur, tant pis pour l’affect, même si la production télévisuelle n’échappe pas fondamentalement à la définition de l’art, ne pouvant se passer des dimensions affectives et émotionnelles. Trois livres très sérieux viennent de paraître sur la question. Séries – Une addiction planétaire (paru à La Martinière -lire interview) propose ainsi un écrin digne de ce nom aux fictions télé majeures de ces dernières années, et multiplie anecdotes et cocasseries.

De leur côté, Nils C. Ahl et Benjamin Fau proposent un Dictionnaire des séries télévisées (éditions Philippe Rey) qui s’inscrit dans une toute autre démarche. Autant descriptif que critique, leur pavé (1042 pages) dépourvu de la moindre illustration classe alphabétiquement des centaines de séries et leur adjoint une fiche, presque anthropomorphique, suivie d’une présentation aussi succincte que complète, empreinte de subjectivité. Notre favori, Sériescopie (chez Ellipses), prend le parti de traiter beaucoup moins de séries, mais de les ranger par thématiques, lesquelles sont encore plus décortiquées que les fictions qui se rangent sous leur appellation. Ainsi de la banlieue, qui donne lieu à une réflexion absolument passionnante, tant sur sa charge symbolique que sur les fantasmes auquel elle donne court. Concrètement: Lost, dans Séries – Une addiction planétaire, sera ainsi vue sous l’£il d’un cartographe qui a reproduit l’île mystérieuse dans toute sa complexité, tandis que le Dictionnaire des séries télévisées reconnaît que « Sur le fond, elle est fondamentalement imparfaite, traversée par des gouffres béants, des contradictions et des absurdités, des errements flagrants et des hésitations visibles. Mais peu importe: grâce à sa capacité à forger une mythologie et à y intégrer le téléspectateur dans un rôle actif, elle donne envie de réfléchir et d’imaginer à son tour, de discuter et d’écrire. Pour une £uvre de fiction, quelle qu’elle soit, c’est une qualité exceptionnelle, et irremplaçable. » Dans Sériescopie, enfin, Lost est rangée dans la catégorie « Les prisonniers du temps » et s’étend sur les efforts d’interprétation que les oscillations temporelles nécessitent de la part du téléspectateur, un travail qui confine à l’expérience personnelle davantage qu’au divertissement. l

MY. L.

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