Avec The Hurt Locker, Kathryn Bigelow signe un film survolté sur la guerre en Irak, donnant à partager l’expérience au quotidien d’une patrouille de démineurs américains. Explosif…

Que Kathryn Bigelow allie le regard à la manière, voilà qui relève de l’évidence. Le premier est singulier: la preuve par Near Dark, Point Break ou Strange Days, autant d’£uvres venues démontrer que film de vampires, d’action ou d’anticipation, il n’est pas un genre que la réalisatrice américaine n’ait abordé sans y imprimer sa marque. Quant à la seconde, comment la qualifier autrement que de forte. Ainsi de The Hurt Locker qui, 6 ans après K-19, la voit renouer avec le film de guerre – celle d’Irak en l’occurrence. Un conflit que la réalisatrice aborde sur un mode frontal et viscéral, donnant à partager l’expérience d’une unité de démineurs américains à Bagdad.

Uppercut – ou plutôt bombe à retardement, vu les circonstances -, le film doit son impact à la puissance de sa mise en scène, bien sûr, mais aussi à la qualité de son scénario, signé Mark Boal, l’auteur également de In the Valley of Elah de Paul Haggis. A l’origine de The Hurt Locker, son expérience de journaliste, embarqué en Irak avec une patrouille de déminage. « A mon retour, en 2005, j’ai appelé Kathryn pour lui dire que j’avais ramené du matériel susceptible de l’intéresser… « 

Et pour cause. Trois ans plus tard, la paire, rayonnante, rencontre la presse à la Mostra de Venise, où le film a produit un effet considérable. « Pour moi, il n’y avait pas encore eu de film sur l’Irak au cinéma, observe Kathryn Bigelow. Il y en a bien eu sur la réintégration des soldats, mais rien sur ce qui se passe sur le terrain. Au contraire de l’Afghanistan ou de la guerre du Golfe, le conflit irakien n’avait pas été montré sur les écrans; en ce sens, on peut dire que nous avons défriché un territoire original. Je pense que les gens ont faim d’informations et d’observations de première main. On ne peut argumenter avec la vérité – on est ici au confluent de la pertinence et de l’expérience émotionnelle la plus forte. »

Humains et inhumain

Pour coller au plus près à la réalité, Kathryn Bigelow a choisi de tourner en Jordanie. « Une question d’authenticité, souligne-t-elle.

Nous tournions à quelques kilomètres à peine de la frontière irakienne. J’aurais d’ailleurs voulu la traverser, mais la présence de nombreux snipers ne permettait pas de garantir notre sécurité. On compte par contre énormément de réfugiés irakiens en Jordanie, et nous avons veillé à en engager un maximum comme acteurs. » Un souci moins anecdotique qu’il n’y paraît: « Il faut resituer la démarche dans un contexte hollywoodien, intervient Marc Boal. A l’exception de Redacted , la plupart des films américains qui parlent du Moyen-Orient ont été tournés au Maroc. Et, dans la grande tradition hollywoodienne où l’on engageait des Italo-Américains pour jouer des Indiens, on demande à des Marocains de jouer des Moyen-Orientaux, ce qu’ils ne sont aucunement. Les Jordaniens ne manquaient d’ailleurs pas de nous le faire remarquer. C’est peut-être une petite chose, mais c’était fort important pour Kathryn, et tout le monde a pu ressentir que nous ne voulions en aucune façon nous inscrire dans cette approche stéréotypée. » Le regard et la manière, on y revient.

Cette volonté, chaque plan du film suffit à en apporter l’éloquente démonstration: voilà, assurément, une vision de la guerre à laquelle le cinéma n’a que fort peu habitué. « Pour les Américains, il s’agit incontestablement d’une façon inédite d’appréhender la guerre, poursuit Mark Boal. En général, on est soit dans une vision post-apocalyptique, soit dans une perspective tout feu, tout flamme, mais jamais dans une volonté de montrer ce par quoi passent les soldats au jour le jour. »

Histoire de rappeler que si la guerre n’arbore jamais un visage humain, elle est par contre le fait d’humains. Sentiment conforté par un casting mêlant visages familiers (Ralph Fiennes, Guy Pearce) ou non de façon pour le moins inusitée: « il était fondamental que l’on ne puisse savoir, à l’avance, qui allait vivre ou mourir, explique Kathryn Bigelow. Le film ne pouvait qu’en apparaître plus effrayant encore. »

Au-delà de la peur

Quant à s’en être tenue à la perspective exclusive de ce petit groupe d’hommes, engagés volontaires sur le front irakien? « Nous avons délibérément choisi de ne pas prendre le point de vue de la partie irakienne, pour la simple raison que n’étant pas Arabe, je n’aurais pas trouvé correct de m’immiscer dans un monde que je connais si peu. Autant culturellement qu’en termes d’expérience, cela me paraissait difficile. Je ne pense pas, cela étant, que les Irakiens que l’on voit dans le film soient stéréotypés: on croise un professeur parlant 5 langues, un gamin adorable qui joue au football, le spectre me paraît aussi complet que possible. » A quoi s’ajoute qu’il s’agissait de refléter l’expérience de Mark Boal: « La seule référence, c’était ce que j’ai vu en Irak, et ce que j’ai entendu des soldats ou lu après coup dans leurs rapports. »

Si Démineurs, le titre français du film, a les vertus de la clarté, qu’en est-il de la signification de la v.o., The Hurt Locker?: « The place of ultimate pain… « , répond Kathryn Bigelow, en un prolongement troublant à sa déclaration d’intention, reproduite dans les notes de production:  » La peur a mauvaise réputation, mais je pense que ce n’est pas justifié. La peur permet de clarifier les choses car elle vous oblige à vous focaliser sur ce qui est important, en laissant de côté ce qui est accessoire. Lorsque Mark Boal est rentré d’Irak, il m’a parlé de ces soldats qui désamorcent des bombes en pleine zone de combat, ce qui, de toute évidence, est une mission réservée aux hommes les plus qualifiés qui s’en acquittent au péril de leur vie. Quand il m’a raconté qu’ils étaient totalement exposés et qu’ils n’utilisaient rien d’autre que des pinces pour désamorcer une bombe suffisamment puissante pour faire des victimes à 300 mètres à la ronde, j’ai été sonnée… Lorsque j’ai découvert que ces hommes se portent volontaires pour ce type de mission extrêmement dangereuse, et qu’ils y prennent tellement goût qu’ils ne pourraient pas concevoir de faire autre chose, j’ai compris que je tenais là le sujet de mon nouveau film. » La manière forte, toujours…

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