Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Dylan, une jeunesse – Dans des versions strictement minimalistes et inédites, le jeune Dylan chante quelques-uns de ses futurs classiques acides. Et brouille déjà les pistes.

« The Witmark Demos: 1962-1964 – The Bootleg Series Vol. 9 »

Distribué par Sony Music.

Vous avez, disons, entre 15 et 25 ans, et avez peut-être entendu parler de Dylan -par vos parents bienveillants- quand vous tombez sur un extrait de ce disque-ci à la radio. Cela fait hinzwouinhyenahhiënboummbing: le son d’un mec immergé dans le vinaigre, obligé d’aller à confesse accompagné d’une guitare acoustique sans fioritures. Pas forcément euphorisant. Pourtant, ces enregistrements datés des années 62-64 constituent un vibrant témoignage d’un jeune homme -né en mai 1941- occupé à écrire l’Histoire, et d’abord la sienne. Dylan est un truqueur: le premier volume de ses mémoires -publiées en 2004- le confirme amplement. Il adore brouiller les pistes sémantiques, racontant si peu de choses de sa jeunesse ou les emballant dans ce qui va faire son style: une autobiographie éternellement déguisée en fiction! Fils d’un quincailler du Minnesota et descendant d’immigrés juifs fuyant les pogroms d’Odessa, il a sans doute hérité de ce passé troublé un sens profond de la méfiance. Donc il chante comme un contrebandier, entre 2 eaux, 2 strophes, 2 significations. Dans ces 47 démos qui donneront quelques classiques, il harmonise à la manière des passeurs de frontières: en cela, Dylan est extraordinairement actuel. Il est le Kosovar en quête de passeport, le Juif errant, le Serbe cherchant à racheter les fautes dont il n’est pas responsable, le Palestinien piégé, l’éternel marginal. Même pas besoin d’analyser les mots: tout est là dans les voyelles écrasées sur le mur des cordes timides, la scansion des vers existentialistes.

Talent précoce

On peut évidemment tenter de piocher du sens dans cette tourbe, mais il faudra plus qu’un Harrap’s pour dénoyauter le bazar. Pour peu qu’on aime jouer, Dylan est passionnant parce qu’il parie sur l’infini des phrases, des significations, du son général, comme un Gainsbourg bien avant la lettre. Pour vous aider dans ce dédale d’harmonica et de cryptogrammes, certaines mélodies viennent à la rescousse. Elles deviendront célèbres: Blowin’ In The Wind, Ballad Of Hollis Brown, Masters Of War, Girl From The North Country, Mr Tambourine Man. Ou cet extraordinaire Talkin’ John Birch Paranoid Blues où Dylan s’avère plus politique que jamais (même s’il le dément), véhément et cruel, bref, tout ce qu’on aime. L’ensemble éprouve aussi la limite des maquettes: un peu de lassitude sonore, même si, globalement, le travail d’un artiste qui n’a alors que le début de la vingtaine est impressionnant de maturité. Pour pénétrer et comprendre cet unique objet, le beau livret de photos et de textes s’avère précieux. l

Chez Sony Music, la version « Coffret » propose

un Live inédit de 1963.

Philippe Cornet

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