Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Bob le préhistorique – Together Through Life regorge de chansons qui pourraient bien venir des années 20 ou 30. Des crocodiles blues d’avant le rock, mais qui mordent encore.

« Together Through Life »

Distribué par Sony

Ce truc qui sort de la bouche de Bob Dylan, c’est quoi au juste? Une coulée de lave ou plutôt une livraison de roches rendues encore plus rugueuses avec le temps. Dylan ne chante pas, il se contente d’être. En scène, dans ces concerts qui tutoient les anges ou la calamité, c’est selon, le futur septuagénaire – en mai 2011 – s’amuse à grommeler des textes pour la plupart incompréhensibles. Heureusement, qu’on sait les chansons mondialement connues, sinon on ne reconnaîtrait pas Like A Rolling Stone ou Masters Of War. Sur le disque, le croassement se veut clair, régulièrement bordé par une réverbération qui nous fait croire à l’origine humaine de la chose.

Les dix nouvelles chansons sont de nature bifide, à la fois rustre et dévoilée, crissant sous une poussière qui a la lourdeur opaque des vieux parfums. Pas de reprises de Cro-Magnon comme sur les trois derniers disques, mais des originaux qui s’inspirent notoirement des old times que Dylan chérit ouvertement.

Inévitablement graisseux

L’inspiration a été déclenchée par la commande d’une chanson émanant du cinéaste Olivier Dahan pour son prochain film, My Own Love Song. L’histoire d’un chanteur en chaise roulante qui s’embarque avec sa copine dans un voyage régénérateur pour Memphis. Dylan qui accepte la mission, en conçoit Life Is Hard. Un poète n’aurait pas dit mieux. En seconde position sur ce disque, le titre est une superbe ballade rouillée qui plonge d’emblée dans une sentimentalité évoquant d’autres temps héroïques. Le tempo viscéralement lent, la guitare pleureuse, la batterie caressée avec la volupté de ceux qui ont vraiment connu l’amour, servent d’abri à la voix venue couronner ce petit monde intimiste avec une bienveillance dylanienne, plutôt rare sous nos tropiques. C’est le moment briseur de c£ur d’un album qui s’abreuve ouvertement aux affluents du Mississippi. Blues donc, mais d’un style qui rappelle les enregistrements de Chess Records, voire de Sun quand le rock pointe son museau ( It’s All Good, Jolene). A plusieurs reprises ( My Wife’s Home Town, This Dream Of You), l’accordéon vient supporter le rythme, inévitablement graisseux, qui chaloupe sur des mélodies étonnamment affables. I Feel A Change Comin’ On pourrait même faire le tube aquatique de l’été, le A Whiter Shade Of Pale pour enfants de baby-boomers persévérants. Et les textes de Bob? Autant essayer de lire le vent, c’est plus facile, mais quand même, sous le harnais blanchi et codé des morceaux entreprenants, on reconnaît le talent du Joker pour les tournures vinaigrées à l’optimisme défunt. Des sentiments éteints qui allument les mots, Dylan devant mourir dans l’instant signerait un superbe disque de funérailles joyeuses.

www.bobdylan.com

L’édition Deluxe contient 1 DVD avec l’interview du premier manager de Dylan (une chute du doc de Martin Scorsese) et 1 CD avec une heure de sa délicieuse émission radio.

Philippe Cornet

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