Big in Japan

Les Musiciens de Gion

Un coffret collector fait la preuve par huit films sublimes du génie bouleversant du grand cinéaste japonais Kenji Mizoguchi.

 » Il faut habiter poétiquement la terre« . Ces mots de Kenji Mizoguchi trouvent leur expression idéale dans le beau coffret déposé par l’éditeur Capricci sous le sapin des cinéphiles en cette période de fêtes et de cadeaux (voir notre sélection cadeaux). Habillé de vert et de noir, l’objet contient huit films du génial cinéaste japonais. Des oeuvres toutes réalisées dans les années 50, période particulièrement remarquable et féconde d’un artiste alors au sommet de ses moyens créatifs. Mizoguchi va bientôt mourir (en 1956, à seulement 58 ans), mais il enchaîne les grands films avec une rare constance, reprenant ses thèmes les plus chers en variations sublimes, délicates, d’une puissance esthétique, poétique et surtout humaine que chaque opus conjugue comme dans une conversation reprise de tournage en tournage. La force des sentiments, le sens du sacrifice, l’injustice sociale, l’hypocrisie du pouvoir, et surtout la condition des femmes, inspirent au grand réalisateur des accents bouleversants, des images et des émotions qui hantent à jamais celles et ceux qui s’exposent à tant de poignante beauté.

Une femme dont on parle
Une femme dont on parle

La sélection opérée pour composer le coffret reprend donc huit films sur la petite centaine réalisée au total par le maître. Tous sortis en 1951 et 1956. N’y figurent pas des sommets tels que La Vie d’O’Haru femme galante et Le Héros sacrilège. Mais l’ensemble est formidable, avec une restauration optimale (aux standard 2K et pour certains films 4K) et l’ajout d’un livret richement illustré, recueillant entre autres les précieux témoignages de collaborateurs de Mizoguchi. En prenant l’ordre chronologique, c’est Miss Oyu qui entame le parcours. Un mariage y est arrangé entre un jeune homme et une jeune femme mais c’est de la soeur aînée de celle-ci que le futur mari tombe en fait amoureux. Sauf qu’Oyu, déjà veuve et mère d’un enfant, ne peut se remarier… Graine de mélodrame que Mizoguchi transforme en très belle plante s’élevant face aux conventions sociales. Suit le chef-d’oeuvre des Contes de la lune vague après la pluie, primé au Festival de Venise où il provoqua la reconnaissance internationale du cinéaste en 1953. Au XVIe siècle, deux villageois ambitieux quittent leur épouse pour une vie d’aventures qui, pour l’un, prendra un tour magique. Les épouses laissées derrière eux subissant un sort funeste. En images d’une beauté absolue, portant à leur sommet des sensations multiples, Mizoguchi s’inspire d’une nouvelle de Maupassant pour évoquer les rêves masculins et l’âpre réalité féminine. Un des thèmes majeurs de son oeuvre, comme le prouve encore Les Musiciens de Gion, plongée dans le petit monde des maisons de geisha, sur les pas d’une jeune apprentie et de celle, plus âgée, qui va vouloir l’aider financièrement, chose difficile sans coucher avec quelques notables abusant de leur statut.

Corps et âme

Vient ensuite L’Intendant Sansho, sans nul doute un des films les plus tristes et bouleversants jamais réalisés. Comment retenir ses larmes au récit des épreuves subies par une mère et ses deux enfants, en fuite après la disgrâce (au XIe siècle) du mari et père, gouverneur de province déchu pour sa trop grande générosité envers les pauvres? Retour aux maisons de geisha dans Une femme dont on parle, où une jeune étudiante de tempérament moderne voit la profession de sa mère lui barrer la route du bonheur dans un Japon contemporain encore marqué par les conventions morales. Les Amants crucifiés remonte dans le passé (le XVIIe siècle) pour nous cheviller au parcours sans espoir d’une femme mariée et d’un employé de son mari, soupçonnés à tort d’avoir une liaison, et dès lors contraints à une fuite éperdue… Seul film en (magnifiques) couleurs de la sélection, L’Impératrice Yang Kwei-Fei situe dans la Chine du VIIIe siècle les amours tragiques d’un empereur et d’une jeune femme ressemblant comme deux gouttes d’eaux à la défunte impératrice qu’il ne cesse de pleurer. Les intrigues de cour exposent l’utilisation des femmes par les hommes avides de pouvoir. Une réduction à l’état d’objet qu’évoque l’ultime opus du cinéaste, La Rue de la honte, plongée dans le milieu de la prostitution à la veille du vote d’une loi l’abolissant.

Dans L'Intendant Sansho, Mizoguchi démontre son talent de cinéaste du tragique.
Dans L’Intendant Sansho, Mizoguchi démontre son talent de cinéaste du tragique.

 » Il faut mettre l’odeur du corps humain dans nos images« , a dit Mizoguchi, cinéaste d’une sensualité rare, ouverte au meilleur mais surtout au pire de l’humanité ( » Il n’y a dans ce monde que des gens dégoûtants« ). Les films du maître nippon ne s’isolent jamais de la réalité par le style, mais placent pleinement ce dernier au service d’une intense physicalité. Il nous montre des corps désirants, des corps en souffrance, des corps contraints par la norme sociale, des corps libérés par la mort, plus d’une fois. Une approche organique qui sait exprimer l’âme en exposant la chair. Pour Mizoguchi, beaucoup passait par l’incarnation. Il demandait à ses interprètes bien plus que la justesse du jeu. Et quand une actrice, un acteur, lui offrait cette présence absolue qu’il recherchait sans cesse, il en faisait des interprètes récurrents. Ainsi la merveilleuse et douloureuse Kinuyo Tanaka (héroïne entre autres de Miss Oyu, Les Contes de la lune vague après la pluie, L’Intendant Sansho, Une Femme dont on parle, pour se limiter aux films du coffret). Mais aussi, sur un mode différent, Eitaro Shindo, choisi le plus souvent pour des rôles de personnages veules ou méchants comme dans Les Musiciens de Gion, Une femme dont on parle, L’Intendant Sansho, Les Amants crucifiés et L’Impératrice Yang Kwei-Fei (toujours en se limitant aux films du coffret).

Kenji Mizoguchi en 8 films. 8 disques Blu-ray et 8 DVD plus un livret illustré de 128 pages. Dist: Capricci. 12 h 44.

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