CAMÉRA D’OR AU DERNIER FESTIVAL DE CANNES, L’ÉBOURIFFANT BEASTS OF THE SOUTHERN WILD A RÉVÉLÉ EN BENH ZEITLIN UN JEUNE CINÉASTE AMÉRICAIN AU REGARD AIGUISÉ.

Aux côtés du Holy Motors de Leos Carax, Beasts of the Southern Wild de Benh Zeitlin (lire critique page 34) restera sans doute comme l’une des propositions de cinéma les plus ébouriffantes de la dernière levée cannoise, le film, découvert à Un Certain Regard, glanant au passage une Caméra d’or que nul n’aurait songé à lui contester. Au vrai ne dut-il sans doute qu’à sa présentation antérieure au Festival de Sundance (il y avait obtenu le Grand Prix du jury) de ne pas figurer dans une compétition au palmarès de laquelle il n’aurait certes pas déparé.

Frais trentenaire (depuis le 14 octobre dernier), et un air d’éternel gamin, Zeitlin tient du fort en thème dont la pensée n’en finirait plus de déferler en rafale. Ainsi lorsqu’on le rencontre dans le brouhaha d’une plage de la Croisette, se soumettant de bonne grâce aux nombreuses sollicitations -ce n’est certes pas tous les jours que l’on découvre un auteur aussi prometteur, pas même à Cannes. New-Yorkais, le réalisateur s’est installé en 2004 à la Nouvelle-Orléans, au coeur de cette Louisiane du Sud dont il loue « la mentalité indomptable », et qui prête bien plus qu’un cadre, son âme, à son premier long métrage, Beasts of the Southern Wild. Soit l’histoire de Hushpuppy, fillette de six ans vivant dans une petite communauté précarisée du bayou avec son père alcoolique, Wink. Et qui, la nature déchaînée menaçant son environnement de disparition, va se lancer dans une quête personnelle hasardeuse autant qu’opiniâtre, inscrite sur une ligne, fantasmagorique ou non -on y croise, après tout, des aurochs-, semblant défier l’apocalypse.

Ancré dans une terre louisianaise meurtrie, Beasts puise aussi une part de sa substance dans une pièce de théâtre, Juicy and Delicious, écrite par Lucy Alibar, par ailleurs coscénariste du film aux côtés de Benh Zeitlin. « Je parlerais d’inspiration, précise ce dernier. Si certains éléments du film en sont issus, comme les aurochs ou la fin du monde, la pièce consistait plutôt en un ensemble abstrait d’une trentaine de minutes s’appuyant sur des monologues, et non en un récit de ce genre; pas plus qu’il n’y était question de la Louisiane, des tempêtes ou de questions environnementales. La morale de la pièce était toutefois fort semblable à celle du film, de même que la couleur, et la façon dont les gens y expriment l’amour. »

Comment vivre?

Si la pièce était encore, suivant l’expression de Zeitlin, une « comédie apocalyptique », Beasts of the Southern Wild tient, pour sa part, du récit initiatique, confrontant sa jeune héroïne -l’extraordinaire Quvenzhané Wallis, générosité et force intérieure phénoménales derrière un regard d’enfant- à un monde vacillant. Puisqu’il s’agissait d’y dépeindre une autre façon de vivre, le réalisateur a cherché une autre manière de procéder, suivant notamment les préceptes du collectif d’artistes Court 13, dont il est l’un des fondateurs. « Il s’agit de principes assez intangibles, voulant que l’on essaye de faire le film en collant au plus près à la manière dont les protagonistes vivent l’histoire », sourit-il. Ce qui, dans le cas présent, s’est traduit par le sacrifice d’un peu de précision cinématographique au profit d’une certaine dose de chaos. Manière, peut-être, de se compliquer la vie, mais aussi d’en apprécier le prix: « Il s’agit plus d’un choix d’existence qu’artistique, souligne-t-il. L’essentiel, c’est que le processus-même de création soit une aventure, et qu’il se révèle instructif et rémunérateur quant au propos qui sous-tend le film. On met ses idées à l’épreuve des faits, plutôt que de s’en tenir à l’exécution parfaite d’une vision prédéfinie. » Le résultat est proprement soufflant, qui donne à ces Bêtes du Sud sauvage des contours visionnaires, comme si, de la confusion, pouvait poindre une forme d’harmonie paradoxale. On songe inévitablement à Malick, Zeitlin ajoute, au chapitre des influences, Emir Kusturica et John Cassavetes, et jusqu’à Henry Miller.

Si son film laisse une empreinte indélébile, c’est aussi parce que derrière l’expérience viscérale affleurent des interrogations essentielles, conférant à la quête de Hushpuppy une dimension quasi spirituelle. « Je veux traiter de questions amples », martèle le réalisateur, dont la principale tiendrait en une formule n’ayant que l’apparence de la simplicité: comment vivre? Si bien que, pour être inscrite dans un cadre géographique précis, son apocalypse environnementale doublée d’une singulière aventure humaine n’en acquiert pas moins une résonance universelle…

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À CANNES

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