Après le carton de Reprise des négociations, Bénabar enfonce le clou. Rencontre avec un artiste que le succès n’a toujours pas rassuré.

Paris, dans une petite rue du 11e arrondissement. Passé une porte cochère, une cour mène à une ancienne cartonnerie. Poutres en bois, grande verrière, briques apparentes… L’endroit ne manque pas de cachet, réaménagé aujourd’hui pour ac-cueillir toutes sortes d’événements. En l’occurrence, Bénabar y a invité la presse parisienne pour écouter son nouvel album. Mais ce sont bien les médias belges qui inaugurent pour une fois la session d’interviews. Début d’une longue période promo.

Pas de quoi stresser Bruno Nicolini, aujourd’hui rodé à l’exercice? Pas sûr. A son arrivée, il apparaît sou-riant, mais tendu, livide presque. Un peu plus tard, quand on le rencontre, il lâche après une vingtaine de minutes: « Si tu veux que je te donne un scoop, c’est la dernière fois que je fais des interviews de cette manière. Je vais passer à la méthode américaine: dire ce que j’ai envie de dire, raconter que tout était super, un truc cadré. » On ne le croit pas une seconde, mais il insiste: « Je me suis fait trop niquer par les journalistes. Je sais que je suis devenu ce qu’on appelle un chanteur connu. Mais cela fait un an ou deux maintenant que je suis là-dedans, et ça me trouble… »

Ce qui énerve à ce point le chanteur? Un premier article paru dans Paris-Match trois semaines avant, tourné sur le mode  » Bénabar en a marre de passer pour un connard, devenu la tête de Turc des médias et de ses confrères. » « J’ai passé 4 heures avec le gars et il ne retient que ça! »

Il n’empêche, le fait est là: longtemps portée aux nues, la nouvelle (nouvelle) chanson française – scène à laquelle ont été rattachés des chanteurs comme Bénabar, Delerm, Sanseverino, Thomas Fersen, Jeanne Cherhal… – a subi ces derniers mois le retour de flamme. De rafraîchissante, ladite scène est accusée aujourd’hui d’être conservatrice, nombriliste, bornée au quotidien. D’ailleurs, on imagine que ce n’est pas par hasard si le nouvel album de Bénabar débute par L’effet papillon: ou comment des petits effets peuvent donner de grandes causes, et inversement…

Acteur

La rançon du succès? Le bonhomme n’a pas arrêté ces dernières années. Il y a eu Reprise des négociations, son troisième album sorti en 2005, et écoulé depuis à plus de 1,3 million d’exemplaires. Une tournée a suivi, puis un best of. Il y a eu également la participation au Soldat rose, le conte musical de Louis Chédid; la tournée des Enfoirés; le soutien à Ségolène Royal, stade Charletty compris; et puis aussi des reprises comme celle de Chez Laurette avec Michel Delpech, puisque Bénabar le répète à tout va, il est d’abord un chanteur de variété… Déjà qu’il a toujours du mal à se voir en tant qu’artiste. « C’est peut-être le seul truc où j’ai toujours eu raison. Ça veut dire quoi, être artiste? Pour les maisons de disques, cela va de Loana, Ophélie Winter à Alain Bashung et Léo Ferré. On ne peut qu’en conclure que cela ne veut rien dire! Je sais que je ne suis pas un artiste. Je suis un mec qui écrit des chansons, qui les joue sur scène, qui a cette chance-là. »

Voilà donc que sort maintenant Infréquentable, titre de l’album, ainsi que du dernier morceau: une sorte de cavalcade western qu’aurait pu chanter un Miossec (si, si). Si l’on s’en tient en tout cas à son sens de l’auto-flagellation. « Evidemment, j’espère bien qu’on ne me voit pas comme ça. C’est une manière de désamorcer. » Bénabar continue donc à faire le show, à multiplier les pirouettes. Par exemple, avec le concours de Louis Chédid sur Pas du tout, ou façon Nino Ferrer avec Où t’étais passé?, amusante scène de ménage entre potes. « Nino Ferrer, je l’écoutais un peu ado, sans plus. Mais bon, l’expérience t’amène peut-être à ne plus tourner autour du pot. Ça sonne Nino Ferrer? Ok, allons-y, sans se cacher. »

Sans s’épargner en effet, à la limite parfois du cabotinage. En tout cas, en prenant toujours le pli de « jouer » ses chansons, comme le ferait un interprète extérieur. Ou un acteur, lui qui vient de tourner son premier film ( Incognito, une comédie d’Eric Lavaine)… « L’avantage des purs interprètes est qu’ils découvrent la chanson en même temps que l’auditeur. L’auteur lui vient par un autre biais, plus intellectuel. Il a écrit tous les textes, s’intéresse à tel mot ou à telle rime qu’il trouve génia-le parce qu’il a passé des heures dessus. C’est pour cette raison que ce n’est pas moi qui dirige les chants: c’est le réalisateur qui tranche. Je ne me mêle pas de ça. »

Cela étant dit, on écrirait volon-tiers qu’ Infréquentable avance aussi plusieurs fois sur le fil d’une mélancolie inhabituelle pour le bonhomme ( Allez!, Voir sans être vu). On ne voudrait pas forcer le trait, mais il faut bien constater qu’un peu partout l’angoisse de disparaître pointe le nez. Comme quoi, vendre des camions de CD ne rassurejamais tout à fait. « A moins de devenir un gros con, tu continues à sacraliser la sortie d’un album et l’accueil du public. Par exemple, je suis convaincu que si les gens n’aiment pas mon album, il faut que je parte. Que j’arrête tout. Que je me réfugie dans une cave, que j’arrête de bouffer, et que je crève là comme un chien. Sauf que tu sais aussi qu’à ce moment-là, les copains viendront te réexpliquer que ça peut arriver à tout le monde, que ce n’est pas si grave. Il faudra juste fermer un peu ta gueule et retourner faire des chansons. Et si t’assures, tu reviendras. Le désamour du public est possible mais tu peux y survivre. Si t’as vraiment des trucs à dire. »

En concert à Bruxelles, le 20/2/09, à l’ Ancienne Belgique, et le 21/2/09 au Cirque Royal. www.benabar.com

Entretien Laurent Hoebrechts, à Paris

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