LA BELLE ET LA BÊTE, LE CHEF-D’oeUVRE DE COCTEAU, BÉNÉFICIE D’UNE RESTAURATION EXEMPLAIRE. LA FANTASMAGORIE N’A RIEN PERDU DE SA POÉSIE NI DE SON POUVOIR ENSORCELANT.

La Belle et la Bête

DE JEAN COCTEAU. AVEC JEAN MARAIS, JOSETTE DAY, MILA PARÉLY. 1946. 1 H 34 ED: SNC. DIST: BELGA.

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Disparu il y a tout juste 50 ans, Jean Cocteau est l’objet, ces jours-ci, de commémorations diverses -à l’image de l’artiste multiple qu’il n’aura cessé d’incarner. S’agissant de cinéma, et sans même parler du Opium consacré par Arielle Dombasle à ses amours avec Raymond Radiguet, l’actualité du poète est double. Il y a, tout d’abord, l’intéressante exposition que lui consacre la Cinémathèque française(1), retraçant son parcours de réalisateur, de scénariste mais aussi d’inspirateur des Franju, Demy et autre Truffaut, ce dernier n’ayant jamais fait mystère de ce qu’Antoine Doinel devait au Dargelos de son aîné, Jean-Pierre Léaud ayant d’ailleurs interprété l’un et l’autre à l’écran. Et puis, dans la foulée, la sortie en Blu-ray, aux éditions SNC, d’une version restaurée de La Belle et la Bête, adaptation du conte de Madame Leprince de Beaumont et film le plus connu de son auteur.

Vision poétique

Située à une époque indéfinie, la trame de La Belle et la Bête est simple et merveilleuse à la fois. Afin de sauver son père qui s’était égaré dans le domaine de la Bête et avait déchaîné son courroux en cueillant une rose à son intention, Belle, une jeune femme douce et l’incarnation de la pureté, accepte de se sacrifier et d’aller vivre dans le château du monstre. D’abord tétanisée, elle y apprendra bientôt à se défier des apparences. Plus encore que le sujet, c’est le traitement que lui applique Cocteau qui contribue à la magie ensorcelante de ce film sans équivalent. Faisant voeu de renouer avec le territoire et l’innocence de l’enfance, l’artiste laisse libre cours à sa vision poétique du cinéma. Inspirée aussi bien des gravures de Gustave Doré que des toiles de Vermeer, l’esthétique du film tient de la fantasmagorie, où les décors s’animent et les protagonistes semblent parfois léviter, le tout magnifié par la lumière ciselée par Henri Alekan.

Cocteau entendait, paraît-il, donner du rêve à un public meurtri par la Seconde Guerre mondiale (en plus de remodeler quelque peu l’image d’un Jean Marais sortant de L’éternel retour, l’acteur s’acquittant ici du double rôle d’un gandin éconduit et de la Bête). Il y réussit au-delà de toute espérance, dans un film déconcertant mais plus encore envoûtant, de ceux dont « la grâce se perpétue », pour reprendre l’expression de Serge Toubiana, interrogé dans l’un des compléments. Donnant encore à réentendre Jean Marais ou Henri Alekan, invitant Pierre Bergé à évoquer la collaboration entre Cocteau et le décorateur Christian Bérard, ceux-ci achèvent de faire de cette édition un modèle du genre. Soit une Belle de toujours, à voir et à revoir encore, en attendant une nouvelle version du conte, réalisée par Christophe Gans celle-ci, et qui réunira Léa Seydoux et Vincent Cassel dans les rôles-titres.

(1) JEAN COCTEAU ET LE CINÉMATOGRAPHE. EXPOSITION ET RÉTROSPECTIVE. CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE, PARIS. WWW.CINEMATHEQUE.FR

JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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