Semi-légende transsexuelle et parisienne, Marie France s’acoquine à Jacques Duvall et à la bande Freaksville pour un disque de rock garage narquois, mais pas seulement.

« J ‘ai arrêté la cigarette/Qu’est dix fois moins nocive que toi/Je vais te recracher comme une arête, je me porterai beaucoup mieux sans toi…  » ( J’arrête) ou encore  » Fouquet est un restaurant/Chateaubriand est un steak/Corneille est un chanteur/Céline est une chanteuse/Et moi, depuis que t’es plus là, et moi, je deviens quoi?  » ( Que sont-ils devenus?) . Pas de doute, c’est signé Jacques Duvall, auteur coquin pour chanteuses mutines (Lio, Charline Rose, Elisa Point). Ses mots tombent dans chaque chanson comme une paire de glaçons qui détendent l’atmosphère liquide alors que les guitares se solidifient. Les compos signées Benjamin Schoos ( voir encadré) tempêtent du côté garage, laissant la voix, faux sucre d’orge, nous encanailler. Mais derrière le maquillage de dérision, l’album Phantom Featuring Marie France dégage aussi une mélancolie profonde, qui tient au parcours perso de nos deux  » amis de trente ans« . Une drôle d’association entre le bon docteur Duvall de MSF (Mots Sans Frontières) et sa patiente Marie France qui chante avec délectation ses incurables jeux de maux.

LA RéVOLUTION SEXUELLE

Duvall raconte comment il débarque un jour de 1976 chez Marie France:  » Je passais pas mal de temps à Paris, je dégottais à l’Open Market des disques du Velvet ou des Stooges introuvables ailleurs. J’avais rencontré Jay Alanski (Ndlr, avec lequel il écrira le Banana Split pour Lio) et le nom de Marie France circulait dans le Paris rock underground. Nous sommes allés sonner chez elle pour lui proposer des chansons. » Marie France adore instantanément les perles faussement suaves de Duvall/Alanski qui écriront Daisy/Déréglée sorti en 1977 sur le label punk bruxellois Romantik Records. Puis, deux ans plus tard, Marie-Françoise se suicide:  » J’avais déjà chanté dans le film Barocco de Téchiné mais là, je découvrais l’ambiguïté de Duvall, la dérision belge, une drogue dure (rires). Les chansons de Duvall fonctionnent par sous-entendus mais il regarde aussi le malheur bien en face. » Signe de la grandeur de l’événement, ce jour-là défile devant l’appart de Marie France une manifestation pour la libération sexuelle.  » Ils ont commencé à scander mon nom, j’étais un peu surprise parce que si j’ai été accueillie dans ce milieu-là, je n’ai jamais été militante. J’avais déjà fait ma révolution sexuelle. »

CHALEUR ET MALHEUR D’ALGéRIE

Flash-back: Marie France est donc né(e) garçon le 9 février 1946 à Oran, en Algérie. De son précédent sexe, elle ne parle pas, tout juste comprend-on qu’elle est devenue femme plus tard, à Paris.  » Mon père était aiguilleur aux chemins de fer, c’était un macho beau gosse genre Tyrone Power (Ndlr, ténébreux du cinéma hollywoodien des années 30 – 50). Il m’emmenait dans la nature brûlée d’Oran, j’étais rêveuse, nulle à l’école. Un jour, parce que j’avais signé mon – mauvais – bulletin à la place de mon père, il m’a giflée… J’ai avalé la pharmacie, on m’a trouvée toute verte, bavant de la mousse… » C’était en 1959. Marie France est expédiée en métropole pour un mois. Pour cette jeunette, fan d’Elvis et de Brigitte Bardot, Paris est un choc. Dans le disque actuel, un titre comme Bleu, garni d’une délicieuse mélodie en dentelle, résonne de ces années-là, chaudes, solitaires et songeuses…

PARIS-MALMéDY…

Marie France repart à Oran mais en 1962, l’indépendance de l’Algérie oblige sa famille à la migration définitive en France. Les fantasmes d’une autre vie se concrétisent dans un parcours glamour jusqu’au bout de la nuit.  » J’ai toujours été attirée par les gens kinky, les gangsters, les bouges, plutôt que par les personnes normales. Tout en ayant un fort instinct de survie… » Sixties-seventies parisiennes version champagne et vodka-orange, Marie France est mondaine et meneuse de revues à l’Alcazar. Elle incarne Marilyn Monroe. Rétro, cabaret, puis rock’n’roll, elle croise les Stones et Onassis (qui veut en faire un moment sa Jackie). Apparaît dans des films, enregistre avec Bijou, Marc Almond, Daniel Darc, Mirwais. Façonne une image d’icône culte, légèrement inaccessible. Puis, il y a trois ans, Duvall, qui est toujours resté en contact, lui propose un album entier. Le projet échoue et les chansons se dispersent mais fin 2006, à l’occasion d’un passage parisien, Marie France chante Daisy et Déréglée avec Jacques et la bande de Freaksville, sans répétition.  » Un choc. » Du coup, Duvall planche sur une série mi-noire, mi-rose de titres dégourdis  » dans la lignée de Cole Porter ou Rodgers-Hammerstein »: écrits en deux-trois semaines, ils sont enregistrés en un week-end, en septembre 2007, dans un studio près de Malmédy. « J’étais heureuse, excitée et complètement portée par cette belle énergie, explique Marie France . Pour moi, c’était du gâteau. J’ai longtemps voulu refaire du rock mais en France, cela n’a pas été possible. » La Belgique a redécouvert Marie France et c’est plus excitant que Carla Sarkozy.

Phantom Featuring Marie France, chez Freaksville/Bang! En concert le 15/05 au Botanique et le 24/05 à la Soundstation de Liège. www.freaksvillerec.com

TEXTE PHILIPPE CORNET

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