chanteur

C’est la première fois qu’un disque belge raconte avec autant d’acuité une histoire aussi intime. Celle d’un gamin africain enlevé à sa mère et son pays par un père qui lui fait vivre une immigration forcée et un destin compliqué. Depuis sa sortie à l’automne 2007, Hotel Impala a fait du chemin. On a déjà amplement souligné le pouvoir musical de ce conte moderne, on découvre maintenant combien il a pesé sur la propre vie de son auteur, récemment retourné au Congo pour y enregistrer anciens et nouveaux titres en bonne compagnie africaine.

Focus: Quelle est ton image de 2008?

Baloji: c’est Obama, qui reste une image extrêmement forte, surtout venant d’un pays des plus conservateurs. J’ai suivi sa campagne de très près et ai aimé son côté tragédie shakespearienne. A Chicago, Obama a fait un discours d’une force incroyable sur l’identité noire, disant que la multitude d’origines n’empêchait pas le destin commun. Cette idée porte le reste.

Tu t’imagines un jour Premier ministre belge?

Pas du tout! Parce que je n’en ai pas les compétences, mais Obama va créer des émules: à Kinshasa, ils avaient l’ Obama dance. Il y a un vrai sentiment d’identification chez les Africains mais pas seulement. Comme l’a titré le New Yorker: « Hussein à la Maison Blanche! »

Ton album est sorti en septembre 2007, qu’est-ce que tu as appris sur toi depuis lors?

D’abord il y a eu la réaction fami-liale, d’une force que je ne soupçonnais pas. Ma mère d’adoption, congolaise également, chez qui mon père m’a emmené vivre en Belgique alors que je n’avais que trois ans, en 1981, est croyante et aujourd’hui remariée à un pasteur. Leur position leur impose une certaine retenue et le fait que j’arrive avec des choses tellement personnelles, a créé une réaction explosive. Je l’ai énormément blessée…

Tes parents biologiques là-dedans?

Quand j’ai fini par retrouver ma mère – après vingt-cinq ans…- à Lubumbashi, je l’ai invitée elle et sa s£ur dans un resto un peu chic, pensant bien faire. Elles ont vu la carte et n’ont pas voulu manger… J’avais sous-estimé la portée du truc. Quand je lui ai laissé le disque, elle ne l’a pas compris. Du tout. Cela lui a pris six mois pour comprendre et accepter. Puis avec mon père, cela a été plus difficile encore. La projection que le disque fait de lui est dure: il s’est barré en 1991 et a complètement disparu. Le fait que je le confronte à tout cela via le disque, lui a mis une sérieuse claque.

2008 est aussi une année symbolique pour toi: tu as eu trente ans le 12 septembre et un enfant.

Oui, ma fille est née le 1er septembre.

Et tu as une compagne flamande. Quelle est ton idée du métissage, autre thème actuel?

Mon amie est account dans la pub, un truc très factuel alors que je suis davantage dans l’esprit. Et les deux se bousculent. Au final, nos deux façons sont différentes mais se complètent. Ma femme a un effet d’aimant, elle me ramène à une certaine réalité – même si culturellement, on est super différents. Moi, je ne veux manger que du riz et du poulet, c’est ma négritude.

A un moment où le pays se déchire sur d’interminables dissensions communautaires, comment vis-tu ta belgitude?

Je ne me considère absolument pas belge, même si le jour où j’ai eu ma carte d’identité – en 2001- a été l’un des plus importants de ma vie. Tous les jours, il y a des faits qui me rappellent que je suis différent: tantôt, en arrivant de Gand où j’habite depuis trois ans, j’ai eu un super contrôle de ma voiture par les flics. Et la façon dont ils m’ont traité, cela a été tellement… C’est un racisme primaire auquel je suis confronté. Noir, wallon et artiste: même pas vraiment chanteur, et franco-phile en plus. Donc avec la famille flamande de ma femme qui, au départ, est Volksunie, ce n’est pas gagné.

Tu as failli ne jamais en arriver là puisque tu as été toi-même clandestin!

Oui. En 1998, je dois me rendre au Québec avec Starflam, d’où nécessité de renouveler mes papiers. L’administration de Liège me dit non et me donne un « document de prise en charge » qui doit être rempli par une personne de nationalité belge qui s’engage à couvrir tous mes frais de rapatriement, etc. Sans ce document, je me trouve dans l’illégalité. Je vis alors dans un petit kot au centre-ville, je perds le CPAS, je n’ai plus de papier, je suis dans la merde. Je bosse, je ramasse les cerises et puis, je me fais balancer. Les flics arrivent et m’emmènent au Centre fermé de Vottem, on est en 2000… J’y suis resté quarante-cinq jours et puis grâce à ma copine de l’époque et à sa mère, qui ont signé la prise en charge, on ne m’a pas expulsé. C’est un mec d’un bureau juridique qui m’a sorti de là, m’a sauvé la vie… Cela a encore duré un an avant que j’aie cette carte d’identité. J’ai eu énormément de chance. Tu imagines l’expulsion? Je me serais retrouvé dans le village de ma mère: pour eux, là-bas, je suis un blanc!

Fin octobre, tu es allé à Kinshasa pour réenregistrer une partie d’ Hotel Impala et quelques nouveaux titres…

Oui, le séjour à Kinshasa a été extraordinaire mais un rien ambitieux. Treize titres en six jours, neuf déjà existants et quatre nouveaux. Avec les problèmes inhérents au pays: pannes d’électricité, retards, etc. On a eu Zaiko Langa Langa et puis Konono n°1: de superbes musiciens. On faisait une partie du casting en même temps que l’enregistrement sur un huit pistes, sans esbroufe. L’album va s’appeler Kinshasa succursale et il sortira début mars. Sur la nouvelle mouture de mon disque, je reprends Indépendance tchatcha (NdlR: hymne de l’indépendance congolaise) mais avec de nouvelles paroles…

Entretien Philippe Cornet

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